Rédigé par 18 h 33 min CDs & DVDs, Critiques

Tea for two (Colin de Blamont, Le Retour des Dieux sur la Terre & Le Caprice d’Erato, Kossenko, Helsinki Baroque Orchestra – Château de Versailles Spectacles)

François Colin de Blamont (1690-1760)

Le Retour des Dieux sur Terre,
d
ivertissement créé à Fontainebleau pour le mariage de Louis XV en 1725, sur un livret d’Alexandre Tanevot (1691-1773)

Chantal Santon Jeffery, La Nymphe de la Seine, L’Amour
Hasnaa Bennani, Astrée, la Musique
Marine Lafdal-Franc, Minerve
Jehanne Amzal, La Poésie, Une Bergère
Clément Debieuvre, Un Habitant, Un Berger
David Witczak, Apollon

Le Caprice d’Erato, ou les Caractères de la Musique,
d
ivertissement créé à Versailles pour la naissance du Dauphin en 1729, sur un livret de Louis Fuzelier (1672-1752)

Chantal Santon Jeffery, Erato
Hasnaa Bennani, Junon
Marine Lafdal-Franc, Minerve
Jehanne Amzal, Une Bergère, Une élève d’Erato
Clément Debieuvre, Un Chasseur
David Witczak, Apollon

Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles, Fabien Armengaud (direction artistique)
Helsinki Baroque Orchestra,
direction Aapo Häkkinen

 2 CDs digipack, Château de Versailles Spectacles, Collection Opéra Français n°6, 114’12

Alexis Kossenko semble décidemment s’épanouir dans la musique de cour. Le flûtiste qui depuis quelques années privilégie une prolifique carrière de chef, n’est jamais aussi à l’aise que dans l’exploration et la recréation des pièces, au faste assumé, des répertoires des compositeurs officiant à Versailles sous les règnes de Louis XIV et Louis XV. Après ses récentes incursions dans les œuvres de Rameau (Zoroastre), Lully (Atys), Francoeur (qui composa une grande partie des musiques jouées pour le mariage du Comte d’Artois à Versailles en 1773), ou encore Mondonville (Le Carnaval du Parnasse), le voici qui s’empare cette de deux divertissements composés par François Colin de Blamont (1690-1760), Le Retour des Dieux sur la Terre et Le Caprice d’Erato ou les caractères de la Musique, respectivement donnés à Fontainebleau pour le mariage de Louis XV en 1725 et à Versailles pour la naissance du Dauphin quatre ans plus tard, en 1729.

Deux divertissements, deux œuvres intimement liées, qui peuvent s’apprécier comme un dytique tant elles découlent de circonstances étroitement associées et reflètent le goût musical des premières années du règne de Louis XV. Et si pour ce nouveau projet Alexis Kossenko délaisse Les Ambassadeurs – la Grande Ecurie pour le Helsinki Baroque Orchestra venu du froid, nous retrouvons aux pupitres quelques grands habitués, Hasnaa Bennani, Marine Lafdal-Franc, Jehanne Amzal ou encore Clément Debieuvre et David Witczak, se répartissant les rôles des deux œuvres aux titres savamment pensés aux côtés des  Chantres du CMBV, eux aussi acquis à l’exécution du répertoire baroque tout comme à l’important travail de réédition des partitions qui précède tout projet de cette envergure.

Il faut dire qu’en ces premières années du règne personnel de Louis XV, sacré en 1722, et qui voit Philippe d’Orléans décéder en 1723, François Colin de Blamont a le vent en poupe. Depuis 1719, il est surintendant de la Musique de Chambre du Roi, charge qu’il acquiert de Jean-Baptiste Lully fils, et officie avec notamment Michel-Richard de Lalande, dont il fut l’élève, et André-Cardinal Destouches dans son entourage le plus direct[1]. Il est intéressant de souligner tant les similitudes que les quelques évolutions dans le style d’écriture du compositeur, quatre années séparant les deux œuvres sélectionnées : pour Le Retour des Dieux sur la terre (1725), François Colin de Blamont s’associe au librettiste Alexandre Tanevot (1691), fonctionnaire zélé, poète quelque peu dilettante et n’ayant œuvré dans le domaine de la musique qu’épisodiquement, sa contribution la plus remarquée restant son Discours sur la vie et les ouvrages de De La Lande (1729), qui peut être considéré comme la première biographie du compositeur. L’amitié avérée entre les deux hommes expliquant le fondement de cette collaboration de circonstance qui se poursuivra notamment dans leur travail commun sur l’édition des grands motets de Delalande à la mort de ce dernier. Un divertissement en un acte unique vraisemblablement joué non pas le jour même du mariage de Louis XV avec Marie Leszczynska, le 5 septembre 1725, mais plus probablement le lendemain, 6 septembre, les annales du Mercure de France précisant à cette date que « au retour de la cavalcade et de la pêche, il y eu cercle chez la Reine, où l’on entendit un magnifique concert de voix et d’instruments ».

Chantal Santon-Jeffery © site officiel de l’artiste

Apparat des chœurs, pompe majestueuse de l’ouverture, piécette brève en un unique acte et à la teneur allégorique affirmée, ce Retour des Dieux sur la terre adopte formellement tous les critères du divertissement de cour, genre déjà fécond durant le règne de Louis XIV, particulièrement depuis l’installation Versailles en mai 1682. Charpentier (Les Arts Florissants) et Desmarest (La Diane de Fontainebleau) notamment ont déjà apporté au genre ses lettres de noblesse. Si cette forme s’était ternie avec le crépuscule du règne louisquatorzien, les débuts du règne de Louis XV lui redonnent une vigueur nouvelle. La gloire du monarque et de son entourage sont mis en majesté, la musique se fait légère et badine, l’œuvre gagne en concision. Tout cela est fait pour plaire, pour ne jamais lasser et surtout ne pas froisser. On goûte une texture colorée, laissant une large place aux cuivres et autres flûtes, avec ses accents champêtres et ses incontournables danses que nous retrouvons présentement, outre dans la majesté de l’ouverture, dans les nombreux divertissements musicaux, que ce soit cet Air pour les Peuples, ou dans une gigue très enlevée un peu plus loin, qui précède deux courts rigaudons non moins plaisants avant que les Airs pour les Arts en deuxième moitié d’œuvre ne viennent démontrer la capacité de Colin de Blamont à composer des airs vifs, entrainants, aux cordes luxuriantes et aux cuivres rutilants.

Alexis Kossenko s’épanouit dans ce style extraverti est moiré, prend un plaisir audible à coordonner sa phalange, tout en laissant subtilement la flûte s’épanouir, comme sur l’accompagnement de l’aria de La Musique La noble ardeur qui m’enflamme. Parmi la galerie allégorique des personnages mythologiques chantant la grandeur du pouvoir terrestre, nous soulignerons la très belle diction de Clément Debieuvre (un Habitant, un Berger), qui dans les interventions que lui réservent la partition fait preuve de la grande justesse de ton à laquelle il nous a habitué dans la plupart de ses rôles. Une partition dans laquelle Chantal Santon Jeffery, tenant les rôles de la Nymphe de la Seine et de l’Amour, soprane dont la carrière alterne entre le baroque et des répertoires nettement plus contemporains, faut preuve d’une belle souplesse vocale. Si elle apparaît quelque peu en retrait en début de l’œuvre (le prélude et récit Quelle douce clarté la reléguant bien trop en arrière de l’orchestre), elle entonne par la suite quelques charmants arias, du Peuple soumis aux pouvoirs de Louis, pour le moins transparent dans ses intentions, à son aria avec chœur Célébrons à jamais. On saluera un chœur, très présent, homogène et porté par un souffle énergisant, conformément aux intentions de ce type d’œuvre.

Quatre années plus tard, à l’occasion de la naissance du Dauphin (Louis de France, lui-même père des futurs Louis XVI, Louis XVIII et Charles X), Colin de Blamont récidive. Son Caprice d’Erato sera de son vivant son œuvre la plus appréciée, pour laquelle il collabore cette fois avec le librettiste Louis Fuzelier (1674-1752), pour la deuxième fois après leurs Fêtes grecques et romaines (1723) et avant les collaborations de ce dernier avec Rameau pour Les Indes Galantes (1735) ou Mondonville pour Le Carnaval du Parnasse (1749). Dans cette œuvre dans laquelle Colin de Blamont se détache encore un peu plus du livret, qui bien que d’une plume plus renommée, apparaît moins architecturé que celui de Tanevot, pour verser dans un accompli divertissement musical assumé. De l’ouverture, qui perd en majesté ce qu’elle gagne en légèreté joyeuse et guillerette, jusqu’aux chœurs, particulièrement développés, amples dès le début de partition, dans le Rassemblons-nous dans ces belles retraites, en passant par le Chantons, de notre sort célébrons les appas, faisant suite au gracieux et limpide air de Junon, Qu’aux transports les plus doux, porté avec une grâce cristalline par la voix d’Hasnaa Bennani. Et si l’œuvre de Colin de Blamont est encore l’occasion de quelques arias dignes de louages, à l’exemple du De la saison nouvelle (avec Chantal Santon Jeffery dans le rôle d’Erato), les faveurs de Colin de Blamont vont aux démonstrations instrumentales, ce dernier parsemant son œuvre de divertissements : par exemple un joli rondeau classique pour Terpsichore, un autre charmant pour les bergers, un troisième plus martial un peu plus loin, succédant à un second menuet stylé. Une fois encore la flûte se fait enjôleuse, imitant la nature comme dans les successions des récits et airs pour les oiseaux. Tout cela est enjoué, léger et divertissant et si le compositeur délaisse quelque peu son livret en fin d’œuvre, ne le blâmons pas de nous offrir avec cette célébration natale, belle ode lumineuse à la succession dynastique, une œuvre des plus agréables qu’Alexis Kossenko et les musiciens de l’Helsinki Baroque Orchestra font revivre avec pertinence et entrain, dévoilant pour la première fois à nos oreilles ces pages longtemps refermées d’une musique revigorante, mouvementée et mondaine.

 

                                                           Pierre-Damien HOUVILLE

Technique : captation claire, belles couleurs instrumentales, cuivres très audibles.

[1] Il est à noter que François Colin de Blamont est également le frère du peintre Hyacinthe Collin de Vermont, élève notamment de Hyacinthe Rigaud dont il fut le filleul.

Étiquettes : , , , , , , , , , , Dernière modification: 27 novembre 2025
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