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Gente di Roma (Arianna in Rome, Colombo, Anima & Corpo – Arcana)

Arianna in Rome
Arias, cantatas and laments for the seventeenth-century virtuose

Carlotta Colombo, soprano

Giovanni Girolamo Kapsperger (1579-1651)
Sinfonia

Luigi Rossi (?) (1597-1653)
Cantate Giunsi pur, mai non fu piu tardo

Stefano Landi (1587-1639)
Lamento d’Armida (Quanto Rinaldo invitto)

Carlo Rainaldi (1611-1691)
Cantate Ch’io sciolga il nodo

Ottavio Catalani (1560-1629)
Lamento d’Erminia (In che misero punto or qui mi mena fortuna)

Girolamo Frescobaldi (1583-1643)
Canzon Quinta a due canti e basso

Giacomo Carissimi (1605-1674)
Cantate Soccorretemi ch’io moro

Paolo Quagliati (1555-1628)
Toccata con un violino e la tiorba inanzi che si canti Felice chi vi mira
Felice chi vi mira
Madrigale a voce sola concertato con un violino e la tiorba se piace

Claudio Monteverdi ( 1567-1643)
Lamento d’Arianna (Lasciatemi morire)

Giovanni Girolamo Kapsperger
Toccata VII

Stefano Landi
Alla guerra d’amor

Carlotta Colombo, soprano

Ensemble Anima & Corpo :
Ana Liz Ojeda, Matteo Pizzini, violon
Marc de la Linde, viole de gambe
Matteo Coticoni, violone et contrebasse
Giovanni Bellini, théorbo et guitare
Chiara Granata, harpe double
Nicola Propaccini, clavecin

Gabriele Pro, violon et direction

1 CD digipack Arcana, 2025, 61′

Voici un disque s’intéressant ouvertement et quasi exclusivement à la très riche école musicale romaine de la première moitié du dix-septième. De ce seul fait, il suscite déjà notre intérêt, tant cette partie du répertoire transalpin est souvent délaissée au profit des écoles vénitiennes ou napolitaines, aux œuvres considérées – pas toujours avec raison d’ailleurs – comme plus démonstratives et flamboyantes.

De plus, ce sont des interprètes trop rarement entendus sous nos latitudes qui nous entrainent vers ces découvertes : la soprane Carlotta Colombo, collaboratrice entre autres d’Il Pomo d’Oro et qui a tenu les rôles de Musica et Euridice dans l’Orfeo présenté au Festival de Salzbourg sous la direction de Gianluca Capuano, se joint à Anima & Corpo, ensemble transalpin dirigé avec vivacité par Gabriele Pro entendu notamment au festival d’Urbino et au festival Stradella de Viterbe et autres cités des alentours (nous ne souhaitons pas nous fâcher et terminer dans une tombe étrusque). Cette collaboration nous livre un disque de récital consacré aux compositeurs de l’école romaine et, au-delà d’eux, au répertoire des chanteuses lyriques exerçant à Rome dans cette première moitié du Seicento. Il s’inscrit dans le cadre des travaux de recherche du projet Vidimus, groupe de recherche interuniversitaire (regroupant les universités de Florence, Bologne, Rome et l’Aquila) sur la place des femmes dans l’histoire de la musique italienne.

Car ce sont bien les femmes interprètes de cette musique romaine que Carlotta Colombo et les musiciens de Anima & Corpo souhaitent mettre en avant. Au-delà des figures de compositrices, remises sur le devant de la scène depuis maintenant plusieurs années (Barbara Strozzi ou Isabella Leonarda), ce sont une myriade d’autres interprètes qui firent aussi les grandes heures de la musique, notamment romaine. Des cantatrici parties prenantes de l’émergence et de l’évolution du style récitatif dont émergent notamment Francesca Caccini (1587-vers 1646) ou Adriana Basile (vers 1586-vers 1642) dont les mauvaises langues ne manqueront pas de souligner que si elle fut une cantatrice de premier ordre, elle fut aussi l’une des premières divas capricieuses de l’histoire du chant lyrique. Elles connurent des carrières diverses, sous la protection de nobles familles romaines ; l’on retrouve souvent parmi ces interprètes les épouses ou filles de compositeurs comme vient le souligner le très érudit livret d’Arnaldo  Morelli, professeur de musicologie à l’université de L’Aquila.

Mais laissons les plus curieux explorer plus avant les entremêlements du milieu musical romain des premières décennies du dix-septième siècle pour nous plonger dans les œuvres présentées.

Stefano Landi (1587-1639) fut au cours de sa carrière au service de deux des plus grandes familles de la péninsule, les Barberini et les Borghese. Lui-même sopraniste dans sa jeunesse, ce compositeur fameux laisse un important corpus d’œuvres vocales dont deux opéras[1], et apparaît dans ce programme par deux airs. Un remarquable Alla guerra d’amor conclusif du disque, d’une incarnation majestueuse et néanmoins très fluide caractéristique des habitudes romaines, d’une belle structure, ainsi que précédemment un Lamento d’Armida révélant, outre une très belle ligne de corde introductive, une capacité éprouvée de Carlotta Colombo à poser sa voix sur ce type de répertoire, agile dans ses évolutions, apte à traduire toute la variété et la complexité des passions humaines, offrant une interprétation ne se contentant pas d’être richement ornementée, mais ouvrant la voie vers un travail particulièrement soigné sur les affeti. On louera cette interprétation très soignée, où chaque inflexion est réfléchie, dans un travail au service de la rhétorique du texte, de sa musicalité propre et conforme en cela aux usages de la seconda prattica.

Cette attention soutenue portée à la vocalité du texte, nous la retrouvons également dans la rare pièce de Carlo Rainaldi (1560-1629), la cantate Ch’io sciolga in nodo, dans laquelle Carlotta Colombo projette des aigus cristallins comme autant de traits d’arbalète avec naturel et fraîcheur, pour ce qui s’avère l’une des plus belles curiosités de cet enregistrement, de la part de ce compositeur amateur, surtout connu pour ses activités d’architecte dans la capitale italienne, dessinant en particulier les deux églises jumelles de la Plazza del Popolo, la Basilique Santa Maria in Montesanto et l’église Santa Maria dei Miracoli[2].

Si la Sinfonia I et la Toccata VII de Kapsperger (nom italianisé de Johannes Hieronymus Kapsberger) ne constituent pas des œuvres majeures du compositeur, le Giunsi pur, mai non fu piu tardo vraisemblablement composé par Luigi Rossi permet à Carlotta Colombo la démonstration éclatante d’un travail interprétatif sophistiqué, posée dans ses roulements et dans ses intonations, juste dans ses tremolos, même si l’on peut regretter sur ce morceau, comme d’ailleurs sur certains passages du Lamento d’Arianna une présence trop prononcée et en avant des musiciens, nuisant à la clarté de la voix.

Le célèbrissime Lamento d’Arianna, pièce la plus connue de l’enregistrement, est interprété dans la version romaine présente dans un manuscrit provenant de l’entourage de Alessandro Damasceni Peretti di Montaldo (1571-1623), esthète mélomane et mécène ayant dans son entourage notamment la soprano Ippolita Recupito (vers 1577-1650). Claudio Monteverdi  s’était lui-même rendu à Rome à la fin de l’année 1610 pour y donner la Missa In illo Tempere et les Vespro della Vergine.  Cette interprétation de la lamentation se détache de tout maniérisme larmoyant, lui conservant une pureté intense qui ne laissera pas indifférent.

Voilà un disque conçu comme une anthologie du répertoire lyrique du début du Seicento s’attachant pour notre plus grand plaisir à la mise en exergue de pièces témoignant de la vitalité de l’école romaine, hommage subtil à une Rome où la musique s’accorde avec quelques rimes féminines que Carlotta Colombo et Anima & Corpo revisitent avec sagesse et talent.

 

                                                                       Pierre-Damien HOUVILLE

[1] Nous mentionnerons en particulier Il Sant’Alessio remonté par William Christie et les Arts Florissants à Caen en 2007.

[2] Basilique Santa Maria in Montesanto qui sera achevée par le Bernin. Carlo Rainaldi fut également l’auteur de projets non retenus pour l’achèvement du Palais du Louvre.

Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , Dernière modification: 29 octobre 2025
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