« Approchez, Fout-six-coups ; votre rare courage
Mérite qu’on lui rende un éclatant hommage.
Cet air audacieux, cette noble vigueur,
Tout fait paraître en vous un excellent fouteur »
(A. Piron, Vasta, I, 5)
Vasta, Reyne de Bordélie (1773)
Tragédie érotico-lyrique en trois acte et en vers d’Alexis Piron
Musiques de Mondonville, Rameau, Monsigny, Benda, Campra & Royer
Vasta, Reine de Bordélie : Elisabeth FERNANDEZ
Conille, Fille de Vasta : Delphine GUEVAR
Vit-Mollet, Prince de la cour : Nathanaël TAVERNIER
Fout-Six-Coups, Prince étranger : Christophe CRAPEZ
Couille-Au-Cul : Guillaume DURAND
Vit-en-l’Air : Jean-Christoph BORN
Tetasse : Cécil GALLOIS
Ensemble Almazis : Céline Martel, Diana Lee (violons), Céline Cavagnac (alto), Pierre Charles (violoncelle), Yuka Saïto (basse de viole), Iakovos Pappas (clavecin et direction)
Enr. décembre 2017 à l’auditorium de la BnF, 1 CD + contenu CD-rom Maguelone, 74’09.
Avertissement aux lecteurs, mélomanes et autres curieux : Chastes oreilles, regards sages et cols romains, sans doute en avez-vous déjà trop lu et n’attendez pas d’en savoir plus pour fuir cette page, elle ne vous est pas destinée. De même si parfois il vous arrive de trouver Vianney subversif ou que vos enfants sont dans les parages, préférez la consultation des pages d’un site de vente en ligne de pelotes de laine, vous risquerez moins l’accident cardiaque.
Car oui, dans un contexte médiatique prompte à l’émotion, avide d’aseptisation et susceptible aux identités frileuses, autant prévenir que cet enregistrement peut surprendre et que la langue, pour y être bien pendue, aurait en d’autres temps pu envoyer son auteur au gibet.
Maintenant, si rien de tout cela ne vous effraie, ou si vous succombez aux charmes irrésistibles de la curiosité, vous pouvez continuer…on vous aura prévenu !!!
Erudition, érudition… On a l’œil égrillard et la lèvre ironique en découvrant sur ce même objet un « Parental Advisory Explicit Lyrics » imposant dans son encadré noir et blanc puritain, et le logo de la BnF. L’ouvrage est le suivant : prenez les vers parodiques d’Alexis Piron, chansonnier, poète, auteur, en alexandrins tournant en dérision la noble antiquité mythologique par des plaisanteries grivoises dont on trouvera l’acabit ici. Transformez l’émulsion en conservant le mélange de chanson paillarde, de grivoiserie de corps-de-garde ou de blagues de carabins, loin des circonlocutions précieuses d’un Crébillon fils, qui a tout de même fière allure, avec ses alexandrins aux rimes plutôt nobles, si l’on fait abstraction des dérapages constants en-dessous de la ceinture. Ajoutez y de la musique, sans aucun égard pour les paroles originelles, et en choisissant des airs de cantates françaises de toute beauté issus des maîtres les plus renommés (ou presque, il y a tout de même du Monsigny). Faites-en une sorte d’opéra comique miniature (à défaut de disposer de l’orchestre de l’Académie Royale de Musique en grands effectifs). Faites progressivement monter vos artistes jusqu’à ce qu’ils montent en neige. Servir très très chaud, en nappant de la torride Iphigénie. Musicalement, on déplorera un effectif très chambriste de l’orchestre, avec des dessus de violons un peu aigres, et un manque de parties intermédiaires et de bois. qui confère à l’accompagnement une certaine sécheresse. Le clavecin ductile de Pappas est également capté trop fortement. Qu’importe. Avouons que tout ceci est foutrement (pardon : fichtrement) mieux troussé (pardon : enlevé) et gaillard (pardon : enjoué) que les niaiseries du Devin de Village et autres fariboles fadasses. De temps à autres, exceptionnellement, on prescrira un peu de sans-culotte dans notre Ancien Régime.
Polisson plus que policé ! Voici ce que nous écririons s’il nous fallait d’un trait de plume résumer l’étrange objet hybride parvenu entre nos mains. Soit une pièce de théâtre datée de 1722, parue en 1773 et signée par Alexis Piron, auteur dont le nom éveille l’attention, fait froncer un sourcil, sans qu’il soit aisé d’y rattacher une œuvre, à laquelle le chef d’orchestre Iakovos Pappas a greffé des extraits musicaux de compositeurs contemporains de l’auteur du méfait, Mondonville (1711-1772), Martini (1741-1816), ou encore Rameau (1683-1764) et Campra (1660-1744). Cela quand il ne s’attèle pas lui-même aux charmes de l’accompagnement musical d’un texte haut en couleurs. Enveloppez le tout avec force illustrations (signées Thomas Carrère en 2017) dévoilant érectiles organes objets de buccales sollicitations et vous obtiendrez comme le dit lui-même le livret…du cul, oui…mais Grand Siècle ! (bien que les plus sourcilleux d’entre vous pourraient objecter que malgré des bornages fluctuants, jamais la terminologie Grand Siècle ne s’étire aussi loin dans le XVIIIème siècle). Curieuse curiosa !
Mais revenons à l’argument de cette courte pièce en trois actes et en vers. Vasta, dont le nom même laisse entendre qu’elle fut plus visitée que le tunnel de la ligne 1 du métro, règne sur le royaume de Bordélie, connotation à prendre dans le sens premier du terme, avec un petit aréopage de courtisans aux noms charmants. Conille, sa fille, mais aussi Vit-Molet, Prince de cour, flanqué de son confident Couille-au-Cul, ainsi que le prince étranger Fout-Six-Coups, ayant lui-même un confident, Vit-En-l’Air.
Comment résumer l’intrigue ? Pour ceux qui connaissent le cinéma italien, imaginez La Cité des Femmes de Fellini (1979), où Marcello Mastroianni serait remplacé par Rocco Siffredi, Anna Prucnal par la Cicciolina et Fellini lui-même par…disons Tinto Brass période Calligula (également 1979, grande année). Soit une société dominée par les femmes, où Vasta partage son amant Vit-Molet avec sa fille, jusqu’à l’arrivée de Fout-Six-Coup…justement doté d’une vitalité érectile le rendant capable de la prouesse éponyme. Ne dévoilons pas ce que rien de cache, mais contentons-nous de dire que cela va mal se terminer pour certains…allez, on reste encore un peu dans le cinéma italien, ceux qui auront vu La Dernière Femme (1976) de Marco Ferreri, pourront se faire une idée.
Grivois mais jamais obscène ! En effet, malgré un déroulement où rien ne sera caché d’une sexualité pour le moins exacerbée, soulignons que la grivoiserie bien réelle de Vasta s’allie parfaitement avec un humour certain, un sens du second degrés, de la raillerie et de la provocation, qui rendent l’œuvre assez délectable à découvrir, nous demandant en permanence jusqu’où notre trublion d’auteur va oser aller. Un humour et une provocation du texte que secondent parfaitement les interprètes vocaux, prenant une audible satisfaction à servir le piquant du texte et à en rendre perceptible les différents degrés de lecture. En cela, et tout en considérant l’importance des récitatifs dans l’œuvre, sa découverte s’avère un plaisir de tous les instants en dépit d’une musicalité très variable selon les passages.
C’est au Sieur Alexis Piron (1689-1773) que nous devons cette pochade, le trublion ayant pris visiblement grand plaisir à tremper sa plume dans le vinaigre de la débauche pour nous trousser cette courte pièce. Bien que connue qu’une fois son auteur rendu au trépas par le temps, à l’âge pour l’époque vénérable de quatre-vingt-quatre ans (87 d’après Sainte-Beuve), Vasta semble une œuvre de jeunesse, écrite vraisemblablement en 1722, par le jeune Piron, qui ne devait pas tarder à faire parler de lui. Sainte-Beuve, dans le volume VII de ses Nouveaux Lundis (1867) le décrit comme fils d’apothicaire, d’une famille s’étant déjà localement rendue célèbre par quelques chansons, satires et traits de bon ou mauvais esprit, s’évertuant notamment à perpétuer une spécialité toute bourguignonne, la querelle entre Beaune et Dijon. Son père, Aimé Piron (1640-1727), notable de Dijon avait en effet déjà commis quelques saillies de plume. Vers vingt ans, Alexis compose en vers une Ode à Priape, pour le moins scandaleuse en 17 strophes, tout à fait dans le style de Vasta, connaissant quelques parutions contemporaines, et surtout de nombreuses éditions, plus ou moins complètes, au dix-neuvième siècle. Nous laisserons les curieux s’en délecter. Toujours est-il que le scandale provoqué incita sans doute Piron, une fois Vasta écrite, à la garder au chaud et loin des yeux publics, histoire de se refaire une virginité littéraire.
Il monte à Paris, connaît les affres des écrivaillons à l’avenir incertain, avant de percer en 1722 avec son Arlequin Deucalion. C’est désormais dans le registre de la parodie de pièces ou d’opéras que Piron se fera un nom, y développant son art de la satire et du trait d’esprit, souvent aux dépens de celui auquel il s’attaque. Son esprit, vivace, devient reconnu, apprécié dans les alcôves des salons, mais il peine à obtenir une véritable reconnaissance littéraire, n’abordant que peu les thèmes qui font les respectables académiciens. Il connaît néanmoins des succès variables à la Comédie Française (Les Fils Ingrats, L’Ecole des Pères), se brouille avec Voltaire avec qui il tente un temps de maladroitement rivaliser, s’accorde les bonnes grâces de Grimm et de Maurepas. Une carrière en dents de scie donc, jusqu’à finalement être pressenti pour l’Académie Française en 1753. Elu au fauteuil n°1 à la mort du théologien dijonnais Languet de Gergy, quelques esprits chagrins ressortent opportunément son Ode à Priape, et la polémique affleure. Malicieux Fontenelle, quatre-vingt-quinze ans passés, qui pu dire que « Si Piron a fait la fameuse ode, il faut bien le gronder, mais l’admettre ; s’il ne l’a pas faite, fermons-lui la porte. » En vain, offusqué mais peut être plus surement las, Louis XV refuse de ratifier l’élection et le fauteuil échouera à un autre bourguignon célèbre, Buffon (1707-1788). Piron tirera de cette mésaventure deux de ses traits d’esprit les plus célèbres, le gratuit mais succulent « ils sont quarante, qui ont de l’esprit comme quatre », et sa propre épitaphe « Ci-gît Piron, qui ne fut rien, pas même académicien ». Il devait s’éteindre, déjà un peu oublié en 1773, gardant malgré tout Rousseau comme ami fidèle dans le milieu littéraire.
Portrait de Alexis Piron, par Nicolas Bernard Lépicié,
gravure de Noël le Mire (1773). Wikicommons
Vasta fut donc une œuvre mise volontairement en retrait par son auteur, ou du moins conservée secrète, de peur de nuire à une carrière qui eut déjà bien du mal à démarrer. Il est vrai que cette ode aux plaisirs les plus charnels va au-delà de la simple apologie du libertinage, et tend largement vers la satire des mœurs, la provocation la plus libre, tout en n’hésitant pas à franchir parfois les bornes du mauvais goût. Piron ose tout, quitte à ne pas tout réussir. Nous nous abstiendrons également d’aller rechercher dans cette pièce des messages subliminaux (un féminisme latent ?) qui ne furent peut être pas dans les intentions de l’auteur et préférons lire et écouter Vasta pour ce qu’elle apparaît, une habile et rieuse provocation qui ne se refuse rien, et donc nous en épargne encore moins.
Salvateur travail de remise en lumières qu’opère l’Ensemble Almazis et son chef Iakovos Papas, faisant revivre une très belle curiosité du dix-huitième siècle. Si la mosaïque d’extraits d’œuvres musicales accolées au texte de Piron passe bien dans l’ensemble, laissant se déployer de belles qualités interprétatives des récitants, on pourra être moins emballés par certains choix, à l’exemple du Plaisir d’Amour de Martini, un peu anachronique et dont l’incorporation dans la pièce apparaît comme une provocation de mise en scène un peu facile. Fallait-il au milieu de cette découverte nous remettre en oreille cet air, galvaudé par Nana Mouskouri et sifflé sous les remparts de Carcassonne dans Le Corniaud ?
Iakovos Pappas agrémente son enregistrement d’un livret fort conséquent reprenant outre l’intégralité du texte de Vasta plusieurs extraits bienvenus d’œuvres littéraires n’ayant peur de tomber dans le stupre et la fornication, ainsi qu’un long texte apologique de Pappas sur la liberté d’expression, et le quasi devoir de choquer. Son verbe est aussi fort que sa culture est grande, pourtant, la concision dont il doit malgré tout faire preuve dans ce livret l’amène à quelques raccourcis qui pourraient passer pour de maladroites outrances. Lui-même peut paraître assez baroque dans ses propos, particulièrement dans la conclusion du livret. Aussi, nous nous permettrons de ne pas le rejoindre sur tous les points, malgré une plume des plus alerte constituant une charmante incongruité dans ce type de publication. Pour ses qualités, nombreuses, et ses quelques défauts, mais surtout si votre curiosité se monte jusqu’à rêver des découvertes les plus curieuses, succombez à cette mise en scène de la Vasta d’Alexis Piron. Car aux curieux les plus ouverts sont réservées les plus extatiques jouissances.
Pierre-Damien HOUVILLE
Étiquettes : Pierre-Damien Houville Dernière modification: 2 août 2021