Joseph HAYDN (1732-1809)
Intégrale des Lieder
Elly Ameling (soprano)
Jörg Demus (piano)
2 SACD hybrides, 75’50 + 66’09, Pentatone, enr. 1980 remasterisé 2009
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L’Histoire de la musique se souvient assez souvent des coups d’éclat de ses fils les plus chers. Qui pourrait de nos jours soumettre au triste faux de l’oubli les partitions du Requiem de Mozart, des opéras de Haendel ou bien des Symphonies de Haydn. On a cru que ce dernier était un bon symphoniste et musicien religieux, révolutionnaire du quatuor : un compositeur d’excellence, mais indigne de l’AOC de “génie” si chère à notre modernité manichéenne et simpliste. Avant Schuman et Schubert les “génies” du genre, Haydn avait créé des Lieder qui rivalisent de sensibilité et de romantisme avec les jeunes compositeurs qui le suivront. “Année Haydn” oblige, alors que certains redécouvrent des symphonies peu entendues, d’autres les opéras ou les oratorios, Pentatone a décidé d’exhumer l’enregistrement de la célèbre soprano Elly Ameling accompagnée du pianiste Jörg Demus voilà près de 30 ans, dans une version « nettoyée » des imperfections sonores du support sonore d’alors de l’intégrale des Lieder pour voix seule et piano. Ne cachons pas que le genre est difficile, parfois redondant dans la thématique des textes ou bien dans certains motifs musicaux, comment ne pas être conquis par la délicatesse et le sens poétique de Haydn, dans l’esprit du Sturm und Drang naissant ?
Dans ces 2 galettes bien remplies, nous découvrons d’emblée des Lieder en anglais, à ne pas confondre avec les 445 arrangements de chansons folkloriques écossaises, irlandaises et galloises. A l’écoute de certains morceaux, dont les titres rappellent vaguement la poésie de John Keats ou Percy Shelley, nous voici transportés dans un décor alla Jane Austen. “Despair” ou bien “Pleasing Pain” datent de 1794 années ou se dérouleraient Sense & Sensiblity et Pride & Prejudice. Nous découvrons aussi des Lieder allemands que Haydn a composé comme un défi contre Leopold Hoffmann, maître de chapelle de la Cathédrale Saint-Etienne de Vienne, controverse dont le livret nous livre un témoignage croustillant: “ […] ces trois chants ont été pitoyablement écrits par le maître de chapelle Hoffmann et comme ce fanfaron croit qu’il est le seul à avoir gravi les sommets du Mont Parnasse et qu’il saisit chaque opportunité pour me couvrir de honte auprès d’une certaine haute société, j’ai mis ces trois chants en musique afin de montrer la différence à cette prétendue haute société: sed hoc inter nos.” Et cette intégrale s’achève avec le Lied “Gott, erhalte Franz den Kaiser” (“Dieu bennisse l’Empereur François”), célèbre Kaiserlied, composé comme hymne à la gloire de l’Empire d’Autriche sur le modèle du God Save the King britannique et qui sera repris par l’Allemagne pour son « Deutschland über alles » (avec la première strophe trop militariste supprimée de nos jours).
Côté interprètes, tant Elly Ameling que Jörg Demus nous offrent une interprétation sage et sans faute, mais qui sur la durée manque cruellement de variété et de contraste. La voix est belle, superbement timbrée, extrêmement sensible, avec une pointe de fragilité exquise dans les aigus, et une « blancheur » innocente. Le piano de Demus, discret et efficace soutient avec moelleux la soprano. Hélas nous aurions aimé cependant ici ou là un peu de fantaisie.
Le lied est un genre difficile, qui peut très vite paraître redondant. Et ces charmante petites piécettes appellent une pause instrumentale ou bien plus d’engagement dramatique dans l’interprétation des textes (il est vrai assez contemplatifs). Il est évident qu’enregistrer une intégrale de ce genre de musique est un pari galvaudé, nous saluons ici la démarche pionnière de redécouverte dans l’œuvre immense de Haydn, cependant nous sentons un semblant d’incohérence. Ecoutons-nous un récital historiciste qui cherche à reconstituer une musique oubliée ou bien sommes-nous confrontés à un récital thématique qui vise la sensibilité de l’auditeur plus que son goût pour la redécouverte?
Au final et en dépit de la sensibilité et de la qualité des solistes, force est d’avouer que nous ne sommes guère transportés à l’écoute de plus de 2 heures de ces petits éclats de musique. La note prend en compte autant leur écriture d’une désarmante simplicité qui finit par se muer en monotonie que l’interprétation proprement dite, dont on regrettera une fois de plus la bonne tenue exempte de tout excès. Les fans inconditionnels d’Elly Ameling y trouveront leur compte, mais ces Lieder ne font décidément pas partie des fastes des grandes œuvres du génial et discret Haydn…
Pedro-Octavio Diaz
Technique : excellent remastering, clair et naturel.
Étiquettes : Haydn, Muse : 3, Musique classique, Musique vocale, Pedro-Octavio Diaz Dernière modification: 25 novembre 2020