Michel Verschaeve, Traité de chant et mise en scène baroques,
Gustav Leonhardt (préface), ZurfluH, Paris, 1997, réed. 2007, 269 pp., 28 euros.
Ah, cela fait longtemps que l’on attendait cette 2nde édition du grand classique de Michel Verschaeve ! Il ne paie pourtant pas de mine, ce modeste in-8 thermocollé, à la couverture très « zen », et dont les illustrations en noir et blanc souffrent d’une reproduction de basse qualité avec des effets de quadrillages ou de tramés. Et l’on se dépêchera de rechercher l’ancienne édition, reliée toile bleu roi avec le titre doré et que l’on trouve encore chez quelques bons libraires.
Mais le principal n’est évidemment pas dans le flacon, puisque l’ivresse est au rendez-vous. Faut-il encore présenter Michel Verschaeve, fondateur de la Compagnie Baroque, tour à tour metteur en scène, chanteur, musicologue ? Sa passion pour la musique baroque ne date pas d’hier puisque sa thèse de doctorat fut consacrée à « L’Acte du chanteur aux XVIIè et XVIIIè siècles en France », et l’auteur de cette Bible miniature n’a rien perdu de son enthousiasme et de ses talents de pédagogue.
Gustav Leonhardt résume le nœud du problème dans sa préface : alors que la musicologie et l’interprétation de la musique baroque ont fait des pas de géants ces 30 dernières années, il n’en va hélas pas de même de l’art dramatique baroque. Et le pionnier de fustiger les « ébats des metteurs en scène » en expliquant la source du malentendu : « jadis, le métier de metteur en scène n’existait pas, le chanteur, lui, devait maîtriser l’art du geste, la diction et les règles d’étiquette de la hiérarchie sociale ». C’est à la redécouverte de l’art baroque dans sa globalité et sa cohérence que Michel Verschaeve s’est risqué, et son travail de synthèse (quelques 200 et quelques pages seulement) dresse un panorama complet des grandes problématiques auxquelles l’artiste baroque, tout comme le spectateur-mélomane sont confrontés aujourd’hui. Il doit être noté à ce stade que l’analyse de Verschaeve se concentre essentiellement sur la France.
On trouvera donc dans cet ouvrage tout, tout, tout ce que vous avez voulu savoir sur le chant et la mise en scène baroques de la France du Grand Siècle, sans forcément oser le demander. Le première partie, consacrée au chant, permet de se remémorer les ornements (de différencier ainsi un coulé d’un port de voix par exemple), de resituer les notes inégales, d’étudier la respiration. Un très intéressant passage résume les « Caractères de la Voix » et met à mal les idées préconçues des partisans de tragédies lyriques emplies de voix plates et claires dénuées de vibrato à longueur de mesure. De même, un court survol de la prononciation restitué, bien que trop succinct – et donc assez réducteur – a le mérite de poser les bases du débat. La seconde partie est avant tout centrée sur la gestique pratique, qui remplit un bon tiers du Traité, tableaux et statues à l’appui. Le reste dresse rapidement le panorama de la danse, l’éclairage, les costumes ou les décors.
Ecrit dans un style clair et simple, loin de tout jargon ou intellectualisme prétentieux, mais d’une grande rigueur, le Traité de Verschaeve – dont le titre annonce l’objectif de constituer un guide de référence – se distingue par la constante justification de ses hypothèses sur des ouvrages, témoignages, croquis, peintures de l’époque. Les arguments sont toujours fondés, quoique l’analyse est moins neutre qu’elle peut le paraître à première vue pour le lecteur non averti, et que certaines affirmations peuvent être péremptoires à force de simplification : Rameau n’a pas été joué uniquement au diapason 392 ou 415 et Lully à 392 Hz (p. 58) ; de même, les linguistes et musicologues sont loin d’être à l’unisson sur les caractéristiques de la prononciation du françois de l’époque (pp. 39-48)… De nombreux rappels historiques émaillent le propos, mais ceux qui chercheront des anecdotes ou de longues descriptions resteront sur leur faim. Verschaeve s’en tient la plupart du temps à des phrases courtes, assez directives, rédigées dans un présent de vérité générale, qui vont droit au but, telles « Pour éviter toute position symétrique, il est impératif que l’Acteur-chanteur porte le poids du corps sur l’une des deux jambes, ce qui entraîne un déhanchement – source de contraste et de grâce ».
On regrettera que ce Traité s’apparente plus à un survol qu’à un manuel, et que bon nombre de questions – très justement soulevées – ne trouvent ici qu’un début de réponse, voire de piste de réflexion. Mais la lecture de cet ouvrage est tout à fait indispensable à tout baroqueux qui se respecte, et l’on ne peut qu’attendre une 3ème édition revue et fortement augmentée de ce classique du baroque.
Alexandre Barrère