Rédigé par 17 h 46 min CDs & DVDs, Critiques

“O che nuovo stupor”

Septembre 2009. Pour célébrer les 50 ans de la mythique collection Das Alte Werk de Teldec (désormais partie intégrante du groupe Warner), le label a décidé de rééditer son catalogue avec de nouvelles jaquettes, avec à la fois les enregistrements historiques (les anciens Teldec marrons puis crème), et les nouveaux enregistrements (ex-jaquettes blanches).

Songs of the Baroque Era

Oeuvres de Adam Krieger, Heinrich Albert, Heinrich Ignaz Franz von Biber, Nikolaus Hasse, Heinrich Schütz, Henry Purcell, Constantijn Huygens, Jean-Baptiste Lully, Alessandro Scarlatti, Agostino Steffani & Francesca Caccini

 

Max van Egmond (bariton)
Frans Brüggen (flûte à bec et traversière), Jeanette van Wingerden (flîte à bec), Dijck Koster (violoncelle)

Leonhardt Consort
Direction : Gustav Leonhardt

51’03, Teldec, coll. “Das Alte Werk”, enr. 1968, reed. 2008. 

Extrait : A. Scarlatti “Ombre opache”

[clear]Pour célébrer les 50 ans de la mythique collection “Das Alte Werk” de Teldec (désormais partie intégrante du groupe Warner), le label a décidé de rééditer son catalogue avec de nouvelles jaquettes, avec à la fois les enregistrements historiques (les anciens Teldec marrons puis crème), et les “nouveaux” enregistrements (ex-jaquettes blanches). Parmi les raretés exhumées ou depuis longtemps indisponibles, on retrouve ainsi l’enregistrement – assez maladroit – du Castor & Pollux de Rameau dans sa version de 1754 par Harnoncourt, la sensible Passion-selon-Saint-Jean dirigée par Hans Gillesberger (et non Harnoncourt) ou encore… cet inédit en CD où Max van Egmond fait le tour des styles de l’Europe baroque, accompagné par Gustav Leonhardt et sa phalange.

Sans doute cette Muse de rentrée, loin des feux de la mode et de ses projecteurs, est-elle bien inutile. Les collectionneurs de vieilles galettes et admirateurs du “baroque vintage” possèdent sans doute déjà à la fois le 33t et le CD. Les égarés occasionnels ne s’attarderont pas sur un enregistrement qui demeure daté, ne serait-ce que par un orchestre un peu pâteux. Et pourtant ce disque au prix modeste mérite qu’on s’y attarde avec un abandon rétro pour 2 raisons : la rareté des pièces interprétées (qui en dit long sur l’esprit défricheur de nos baroqueux de 68), et la prestation impeccable de van Egmond.

Dès  les 3 premier airs de Adam Krieger, le timbre opulent et posé de van Egmond apporte une touche classieuse à des pièces très carrées, dont le caractère populaire semble s’accommoder de l’ironie du baryton, qui savoure ses syllabes avec rondeur et bonhomie. Le “Der Liebe Macht herrscht Tag und Nacht”, étonnamment très recueilli, virerait presque au Schmelli Gesangbuch sérieux, mais laisse admirer une maîtrise du phrasé et une intensité remarquables. Les 3 airs suivants de Heinrich Albert, très succincts, dénotent une simplicité qui friserait la monotonie s’ils ne duraient pas plus d’1’14 (ce qui est le cas), même avec un matériau si ingrat, van Egmond parvient à maintenir l’attention par la beauté de son timbre grainé et profond, avec un zeste de malicieuse légèreté qu’il abandonne dans les morceaux sacrés de Nikolaus Hasse, d’une fervente droiture. On repère un très beau “Von der Ewigkeit” qui commence par un son tenu avant de s’épandre en une prière ample et persuasive. L’ “Erbarm dich, mein, o Herre Gott” avec ses violes déchirantes constitue un moment fort du récital, d’une tristesse infiniment humaine, de même que certains airs italiens. L’ “Ombre apache” extrait de la cantate Correa nel seno amato devient méconnaissable et perd de son italianité pour devenir un chant universel et troublant, déchirant et sombre, où les violons grinçants le disputent à un soliste à l’italien très… personnel. Le Lagrime dolorose de Steffani avec ses paires de flûtes à bec liquides et sa tessiture très grave insiste sur l’intériorité grave et l’angoisse voulue par le texte chanté.

Pour autant, ces Chansons de l’ère baroque ne sont pas uniformément convaincantes, notamment pour les Songs de Purcell, délivrés avec trop de raideur voire de sombre brutalité, et les ariettes françaises vaguement creuses et peu impliquées. En outre, si la flûte de Frans Brüggen apporte une touche souple et liante bienvenue, le continuo demeure très guindé, et les cordes imprécises et parfois aigres. Enfin, l’approche générale, très déclamatoire, s’avère de temps à autre trop saccadée, et les tempi très unis. Mais l’on retiendra de cette réédition un récital d’une humilité rêveuse et un brin mélancolique, dont les rides même participent de son charme fané.

Viet-Linh Nguyen

Site officiel de la collection 

Technique : captation naturelle.

Étiquettes : , , , , , , , , , , , , Dernière modification: 16 janvier 2022
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