Jean-Philippe Rameau, Les Boréades
Les Musiciens du Louvre Grenoble, dir. Marc Minkowski
Opéra royal de Versailles, 5 octobre 2014
Jean-Philippe Rameau (1683 – 1764)
Les Boréades (1764)
Tragédie lyrique en cinq actes, sur un livret attribué à Louis de Cahusac
Solistes :
Julie Fuchs (Alphise), Chloé Briot (Sémire/ Une nymphe/ L’Amour/ Polymnie), Samuel Boden (Abaris), Manuel Nunez-Camelino (Calisis), Jean-Gabriel Saint-Martin (Borilée), Damien Pass (Borée), André Morsch (Adamas), Mathieu Gardon (Apollon).
Choeur Ensemble Aedes
Sopranos : Judith Derouin, Amandien Trenc, Agathe Peyrat, Nadia Lavoyer, Béatrice Gobin
Altos : Pauline Leroy, Thi Lien Truong
Hautes-contre : Camillo Angarita, Paul Crémazy, Rémi Beer-Demander
Ténors : MarcValéro, Emmanuel richard, Michael Loughlin Smith, Nicolas Rether, Maurizio Rossano
Basses : Jean-Louis Georgel, Sorin Dumitrascu, Pascal Gourgand, Jean-Bernard Arbeit, Frédéric Bourreau
Chef de choeur : Mathieu Romano
Orchestre Les Musiciens du Louvre Grenoble
Violons I : Thibault Noally, Claire Sottovia, Bérénice Lavigne, Heide Sibley, Geneviève Staley-Bois, Alexandrine Caravassilis, Laurent Lagresle, Mario Konaka
Violons II : Nicolas Mazzoleni, Paula Waisman, Pablo Gutierrez-Ruiz, Alexandra Delcroix-Vulcan, Caroline Lambedé, Simon Dariel
Altos : David Glidden, Marco Massera, Joël Oechslin, Nadine Davin
Violoncelles : Frédéric Baldassare, Elisa Joglar, Aude Vanackère, Pascal Gessi
Contrebasses : Christian Staude, Clotilde Guyon, Jean-Michel Forest
Flûtes : Florian Cousin, Jean Brégnac
Hautbois : Emmanuel Laporte, Anne Chamussy
Clarinettes : Francesco Spendolini, François Miquel
Bassons : Marije Van der Ende, Tomasz Wesolowski, Thomas Quiquenel, François Charruyer
Cors : Alessandro Denabian, Takemori Nemoro
Clavecin : Francesco Corti
Direction : Marc Minkowski
Représentation du 5 octobre 2014 à l’Opéra Royal de Versailles
Compositeur qui s’est consacré tardivement à l’opéra, Rameau a toujours attaché un soin particulier à l’orchestre. Les nombreux intermèdes dansés de la tragédie lyrique lui ont fourni de brillantes occasions de donner aux instruments leur pleine mesure, tandis que les passages chantés tissent une savante composition entre les moyens de la voix et ceux des musiciens. Dernière oeuvre du compositeur, qui attendit plus de deux siècles (!) sa création scénique, Les Boréades constituent à la fois l’aboutissement de ce parti-pris « orchestral » en même temps qu’une fabuleuse et inattendue ouverture vers des sonorités nouvelles, traçant une voie qui mènera plus d’un siècle plus tard au Falstaff de Verdi, puis au début du XXème siècle à « l’iconoclaste » Stravinsky. Aujourd’hui encore les notes syncopées du prélude du cinquième acte suscitent notre étonnement par leur modernisme. En regard de la place prépondérante qu’y occupent les pages orchestrales et de leur densité, l’action dramatique chantée offre un modèle de concision qui confine à la gageure : comment composer un opéra, dérouler une action, avec si peu de parties chantées ? Au travers de sa dernière composition, entreprise à plus de 80 ans et à quelques mois de sa mort, le glorieux Dijonnais nous administre une fantastique leçon de musique lyrique, qui le place incontestablement parmi les génies de l’histoire de la Musique.
Rendre justice à cette composition nécessite, on l’aura compris, un orchestre à la ligne solide et expressive, et des chanteurs à l’expression vocale irréprochable délivrant un sens élevé de la dramaturgie. Et pour notre plus grand bonheur ces deux composantes étaient bien présentes dans la version de concert donnée dans le cadre somptueux de l’Opéra Royal par une après-midi au ciel grisonnant d’octobre. L’orchestre tout d’abord : sous la baguette précise et impérieuse du maestro Minkowski, les Musiciens du Louvre Grenoble sonnent avec un bel ensemble qui fait scintiller les parties solos, à commencer dès l’ouverture par les clarinettes et les cors. Le divertissement final de l’acte I est traité avec maestria, les clarinettes résonnent avec bonheur dans celui de l’acte II, les vents et cordes se font noirs et dramatiques au troisième acte pour appuyer l’invocation de Borée. Au quatrième acte la vigoureuse intervention du traverso semble retracer la course des Zéphyrs, et le si moderne prélude du cinquième acte est asséné avec une précision redoutable. Au final la formidable contredanse nous emmène de son rythme endiablé et lancinant, prolongeant à l’infini le plaisir de l’auditeur. A chaque instant la pâte orchestrale témoigne du délicat équilibre ramiste, avec des parties bien audibles témoignant de la richesse de la partition, et des attaques précises et vigoureuses qui ponctuent la progression de l’action dramatique.
Sur cette trame ordonnée au millimètre, Marc Minkowski veille attentivement à la parfaite insertion du chant, adressant tour à tour à chaque interprète les mesures qui précédent son intervention : dans l’univers largement orchestral des Boréades, les parties chantées deviennent ainsi des sortes de joyaux dont l’orchestre constituerait l’écrin. Et quels joyaux ! Côté féminin, la voix aux aigus cristallins et à l’abattage sans faille de Julie Fuchs domine largement le plateau. Sa voix nous est familière dans le répertoire baroque français, nous la retrouvons ici avec bonheur. Elle incarne de bout en bout une Alphise sensible mais déterminée (« Un horizon serein » au premier acte), y compris dans les moments les plus tendus de l’action (le dramatique « Songe affreux » du second acte, les échanges avec Borilée au cinquième acte). Sa suivante Chloé Briot l’accompagne avec expressivité de son timbre mat ; on eût toutefois apprécié une projection plus sonore pour les courtes interventions de l’Amour et de Polymnie.
Les nombreux rôles masculins offrent une palette d’un très bon niveau, homogène et bien assortie aux caractères. Le jeune ténor Samuel Boden campe un Abaris sensible et charmeur (« Charmes trop dangereux au début du second acte), à l’émouvante fragilité (« Que mon sort est digne d’envie » au second acte, « Lieux désolés » au quatrième, avec de longs aigus filés), qui triomphe avec allégresse au final (« C’est un ruisseau dans la prairie »). Face à lui ses rivaux composent un duo redoutable : lequel craindre le plus ? Calisis emprunte le timbre bien posé dans les aigus et la diction soignée de Manuel Nunez Camelino. Sa ronde projection illumine chacune de ses interventions : « Cette troupe aimable et légère » au premier acte, son adresse à Alphise puis le duo avec Borilée au troisème acte ; elle entraîne avec allégresse le choeur à sa suite (« Ecoutez l’amour qui vous presse », au second acte). Face à lui, les graves charnus de Jean-Gabriel Saint-Martin (Borilée) sont amplifiés par une projection très généreuse ; le timbre reste remarquablement stable quand il se décale vers les aigus (« C’est des dieux qu’on doit apprendre », au second acte). Au troisième acte, le duo des deux compères pour invoquer Borée est particulièrement réussi. Le Borée de Damien Pass possède lui aussi une belle projection, qui met en valeur ses graves profonds, et renforce la rigueur de l’implacable censeur du dessein d’Alphise au cinquième acte. Mathieu Gardon se distingue, dans le court rôle d’Apollon, par de beaux graves moëlleux. Et André Morsch fait preuve d’une solide voix de baryton, renforcée de graves sourds qui soulignent la majesté du grand-prêtre Adamas. Au second acte ses attaques impérieuses (« Avec éclat paraissez à ses yeux ») contrastent avec le timbre léger d’un Abaris transi. Enfin soulignons l’homogénéité et le dynamisme du choeur, chanteur pluriel aux transitions impeccables, sous la direction de Mathieu Romano.
En somme un bien bel hommage au fulgurant testament musical du génial Dijonnais !
Bruno Maury
SAISON L’OPERA ROYAL 14-15
6 CONCERTS RAMEAU D’OCTOBRE A NOVEMBRE