« Ecco Tebe / O adorata sfera del mio bel nume »
(livret de L. Orlandi pour Niobe, Regina di Tebe, opéra d’A. Steffani)
Voici venir le temps des vœux, et aussi donc celui des souhaits. L’environnement – ne le cachons pas – est morose : il est bordé de prétentions olympiques, du fracas des armes aux confins de l’Europe et en Méditerranée, lesté par la cherté des vivres, sclérosé par une parole politique qui a de commun avec Rembrandt la rotation de bras de moulins, effrayé par la réchauffement non des cœurs mais de notre planète exsangue.
Alors, pour 2024, an de grâce MMXXIV, nous vous souhaitons avant tout une année de beauté et de poésie, de douceur et de tendresse, d’insouciance musicale et de légèreté souriante. Que vos pas soient autant de croches ailées, vos discours des ornements fleuris de da capo, vos rêveries plutôt celle d’un promeneur peu solitaire.
Cette année sera l’occasion de célébrer en fanfare les 350 ans de l’annexion de la Franche-Comté par le Roi-Soleil, et donc de se souvenir avec émotion de ces fastueuses journées qui ébranlèrent le monde, du 4 juillet au 31 août, dans la féérie versaillaise : on y vit la création d’Alceste de Lully, d’Iphigénie de Racine… Saurons-nous aujourd’hui rivaliser avec tant d’inspiration ?
Dans ce Versailles encore si baroque, où Vigarani faisait reculer le champ des possibles, l’on vécu entre cieux embrasés d’artifices, en s’émerveillant que le théâtre s’ouvrit soudainement des deux côtés pour faire apparaître des troupes de bergers [du Chœur de l’Amour des Fêtes de l’Amour et de Bacchus, dans leur version de 1672 qui n’était qu’un pastiche de pièces d’autres ballets et comédies-ballets de Lully] ; l’on soupa en cette fin de juillet en plein air, dans la cour de marbre, sur une table octogonale placée autour d’une fontaine dotée d’une gigantesque colonne toscane illuminée par une multitude de bougies, au son des violons et des hautbois.
Cet enthousiasme presque enfantin, ce sentiment d’abandon naïf, de mirettes pleines face à la surprise de l’art et de la musique, voilà en somme ce que nous vous souhaitons pour 2024 : qu’elle soit une fête, et que les lueurs mordorées et tremblantes des bougies vous fassent un instant chanceler et vous portent vers des horizons lointains, touchants et tragiques, rutilants et majestueux, burlesques et chamarrés. Riez beaucoup, pleurez un peu, mais seulement pour déplorer les destins de reines ou de nymphes, et emplissez vous de musique, baroque cela va sans dire, qui constitue l’éternelle recette de thériaque et le secret de longévité le mieux gardé au monde.
Viet-Linh NGUYEN
Dernière modification: 27 février 2024