… Lorsqu’il vous plaît de vaincre, il ne vous retient pas » écrivait ce poète courtisan qui avait à se faire pardonner ses années de Fronde qu’était Quinault (dédicace au Roy d’Alceste, 1674). Alors voici bientôt venir ce vieillard menaçant et grelotant, cette saison ingrate qui inspire à Vivaldi le clapotis de la pluie, le souffle du vent et la cheminée salvatrice, décharne les arbres, qui nous donne l’exil d’Io en terres glaciales face au célèbre chœur des Trembleurs d’Isis de Lully.
L’hiver qui nous tourmente
S’obstine à nous geler.
Nous ne saurions parler
Qu’avec une voix tremblante.
La neige et les glaçons
Nous donnent de mortels frissons…
Et la tristesse de Déméter pendant son séjour chez les Ombres a livré aux chroniqueurs versaillais bien de redoutables anecdotes soigneusement captées par la postérité, comme celle où le vin du monarque solaire gelait avant que ses officiers d’échansonnerie-bouche ne puissent laisser la carafe dans l’antichambre du Grand Couvert. Revenons donc un instant sur cette année 1709, celle qui vit la création de Sémélé de Marin Marais, la publication de l’Opus 2 vivaldien, l’inauguration de l’Opéra de Nancy avec l’interprétation du Temple d’Astrée sur cette scène nouvellement achevée, et… le début des recherches de Cristofori sur le diabolique pianoforte.
Revenons donc sur ce Grand Hiver, dont l’impact sur la musique française reste toutefois à analyser, puisque les nombreux témoignages parlent plus souvent – et à raison – des décès humains, animaux et végétaux, quoique les représentations paraissent avoir été stoppées. La première vague de froid commence ainsi vers le 6 janvier 1709, en provenance du Nord-Est (« Le soir du six janvier, il commença à faire froid » écrit le curé de Vougy, près de Roanne). Le dégel est progressif du 23 janvier à début février. La Princesse Palatine rapporte ainsi le 19 janvier que « De mémoire d’homme, il n’a fait aussi froid ; on n’a pas souvenance d’un pareil hiver. Depuis quinze jours on entend parler tous les matins de gens qu’on a trouvés morts de froid ; on trouve dans les champs les perdrix gelées. Tous les spectacles ont cessé ainsi que les procès : les présidents ni les conseillers ne peuvent siéger dans leurs chambres à cause du froid. », elle avance le chiffre de 24000 morts pendant cette première vague, et rend compte de l’inconfort des voyages à Versailles en… traineaux.
Les 2 autres actes de cette tragédie se jouent de 3 au 26 février environ, puis la première quinzaine de mars qui annihile tout espoir de germination. Dès le 23 février, notre Elisabeth-Charlotte craint la famine et la disette qui surviennent effectivement. Les conséquences démographiques furent lourdes, aggravées par un hiver 1710 guère plus clément. Toutefois, le Grand Hiver ne fut pas le plus terrible comparé à ceux de 1606 ou 1693-94, mais survint à une période sombre de la Guerre de Succession d’Espagne, incitant le Roi-Soleil à s’éclipser en concessions auprès des coalisés qui en profitent pour exiger des conditions si humiliantes qu’elles poussèrent Louis XIV au célèbre appel du 12 juin envoyé à tous les gouverneurs et intendants et lu – sous une forme simplifiée – dans toutes les paroisses du royaume, expliquant sa politique (« quoique ma tendresse pour mes peuples ne soit pas moins vive que celle que j’ai pour mes propres enfants ; quoique je partage tous les maux que la guerre fait souffrir à des sujets aussi fidèles, et que j’aie fait voir à toute l’Europe que je désirais sincèrement de les faire jouir de la paix, je suis persuadé qu’ils s’opposeraient eux-mêmes à la recevoir à des conditions également contraires à la justice et à l’honneur du nom français »). Miracle de l’Appel ou du génie de Villars, la victorieuse défaite de Malpaquet (11 septembre 1709) mettra un coup d’arrêt à l’invasion d’une France dévastée par le climat, ravagée par la maladie, décimée dans sa population, et où la figure du monarque devient plus solitaire que solaire…
Viet-Linh Nguyen
Étiquettes : Jean-Baptiste Lully, Versailles Dernière modification: 20 juillet 2014