Célébrations !
Samedi 27 septembre 2014 – Festival d’Ambronay
Le troisième et avant-dernier week-end du Festival d’Ambronay fit honneur au thème choisi comme fil de conduite pour la programmation 2014 : « Célébrations ». Célébration inhérente aux œuvres religieuses comme l’est le Dixit Dominus de Haendel, interprété avec fougue et liesse par les Ghislieri Choir & Consort. Célébration aussi de la jeunesse, avec l’Aura Rilucente, jeune ensemble en résidence au Centre culturel de rencontre. Célébration enfin, de l’échange, de la rencontre des disciplines et de la réflexion, concrétisée par une « table ronde » scientifique intitulée « Sacralisation/Profanation, les rituels autour de l’écoute », visant à appréhender une histoire de l’écoute musicale en Occident.
Table ronde « Sacralisation/Profanation, les rituels autour de l’écoute » – Tour des Archives
Par le Comité scientifique du Centre Culturel de Rencontre : Marianne MASSIN, Martin KALTENECKER, Jean-Claire VANÇON, David CHRISTOFFEL.
Bien qu’affichant un intitulé affirmatif, cette journée passée en compagnie du Comité scientifique du CCR ouvrit en réalité la porte d’une vaste boîte à questions.2 Quel est le rapport de la musique au sacré ? en quoi consiste un processus de « célébration » (célébrer qui, quoi, comment, où, quand, dans quel but…) ? Dans quelle mesure cette dynamique oriente-t-elle l’écoute ou le regard porté sur l’objet célébré ? N’agit-on pas ainsi sur l’identité même du compositeur ou de l’œuvre ? Qui a autorité pour célébrer …. ? … Autant de « mises en chantier », plutôt conceptuelles, qui furent étayées d’exemples historiques (première « fêtes Rameau » en 1866, le scandale suscité par Déserts d’Edgar Varèse en 1954….), et qui permirent de mettre en avant l’importance de considérer le contexte d’écoute (ou d’observation) pour juger de la réception d’une œuvre d’art. Le musée par exemple, valorise une œuvre, la met à part, en exergue ; mais il l’isole aussi du « vrai » monde, de la pièce de vie quotidienne. Le musée met en valeur, mais il met une distance. Comme l’écrit Merleau Ponty dans La Prose du Monde :
« L’idée nous vient de temps à autre que ces œuvres n’ont tout de même pas été faites pour finir entre ces murs sévères pour le plaisir des promeneurs du dimanche, des enfants du Jeudi, ou des intellectuels du Lundi. Nous sentons vaguement qu’il y a déperdition et que ce recueillement de vieilles filles, ce silence de nécropole, ce respect de pygmées n’est pas le vrai milieu de l’art, que tant d’efforts, tant de joies et de peines, tant de colères, tant de travaux n’étais pas destinés à refléter un jour la triste lumière du musée du Louvre…. Alors que le style en chaque peintre vivait comme la pulsation secrète de son cœur ».
Il convient également d’interroger notre rapport au temps, notre disposition intérieure et notre aptitude à écouter (« la musique nous traverse dans notre intériorité » M. Massin) : écouter le son, la matière sonore ? se laisser prendre par les images évoquées ? ou bien chercher à comprendre la structure de l’œuvre par une approche plus intellectuelle ? D’après Martin Kaltenecker, « on suit l’évolution de l’humanité en observant l’usage des sens ». Vouloir établir une histoire de l’écoute implique d’étudier d’abord celle de l’environnement sonore. Faut-il éduquer le public à écouter, sagement, en silence ? Faut-il confiner la musique aux salles de concert, coincée dans un certain protocole ? Faut-il applaudir ou non entre deux mouvements d’une sonate ? Entre deux sonates ? Faut-il crier « Bravo ! », se trémousser au rythme d’une basse obstinée… ou bien rester « passif » dans son écoute, par déférence envers « l’art » ? Chaque époque a eu des penseurs qui voulurent régenter la manière dont il était bon de se conduire en société. Mais qui, des codes de conduite ou de l’esthétique musicale, a eu le plus d’influence sur l’autre ? Les compositeurs eux-mêmes, n’étaient-ils pas contraints dans leurs créations ? Par un lieu, un commanditaire, un sujet… « Nous formulons l’hypothèse que les différents types d’écoute ont toujours existés, mais qu’à certains moments, certaines facultés ont été valorisées. Les théories et discours vont, selon les époques, mettre plus ou moins en avant un type d’écoute ; « reflet majoritaire » qui induit la prescription d’une attitude d’écoute et la préconisation d’un type de comportement. »
Tout cela pour dire que les notions de « célébration » et de « profanation » d’une œuvre d’art n’existent pas in abstracto, mais dépendent étroitement d’un contexte choisi. Le fait est que chacun peut définir, individuellement ou via un groupe social, sa propre échelle de valeurs de ce qui est sacré ou profane… pour lui-même, ou pour orienter l’écoute de l’autre, dans le cadre d’un festival par exemple… échanges et réflexions d’un foisonnement étourdissant, qui laissèrent supposer qu’en fin de compte, tout est relatif…
2 : Réflexions qui feront l’objet d’une publication en 2015 dans « les cahiers d’Ambronay » = ouverture de champs dans une thématique particulière
« Un Italien à Paris »
Arcangelo CORELLI (1653-1713)
Sonate n°10 Op. 3en la mineur (Rome, 1689)
Sonate n°1 Op.4 en do majeur (Rome, 1694)
Tomaso Giovanni ALBINONI (1671-1751)
Sonata n°4 Op. 1 (Venise 1694)
Michele MASCITTI (1664-1760)
Opus 1 (1704)
Sonata n°7 en ré mineur
Sonate n°8 en la mineur
Sonate n°9 en do majeur
Ensemble l’Aura Rilucente
Heriberto DELGADO GUTTIÉRREZ, Sara BAGNATI (violons), Silvia SERRANO MONESTEROLO (violoncelle), Maximilian EHRHARDT (harpe), Umberto CERINI (clavecin et orgue)
L’Aura Rilucente fait partie des ensembles sélectionnés en 2013 pour effectuer une résidence de travail et de formation dans le cadre privilégié du CCR. Réunissant de jeunes musiciens de quatre nationalités différentes formés en Italie, « l’Aura resplendissante » parcourut de son archet des sonates en trio de l’Italie baroque, parmi lesquelles celles du méconnu Michele Mascitti furent une belle découverte. Contrairement à ses aînés, l’Aura ne bénéficia pas de l’acoustique bonifiante de l’abbatiale, et joua dans la salle Monteverdi. Cette dernière invite par ses dimensions à plus d’intimité avec le public, mais la proximité introduit un risque plus grand quant aux exigences de l’intonation, dû notamment à la chaleur, au manque d’espace… Disons-le d’emblée, le concert fut très réussi, mais les musiciens ne semblèrent pas toujours très à leur aise, ni très à même de donner le meilleur de leurs talents en raison d’un contexte inconfortable. Ils apportèrent néanmoins beaucoup de soin à la clarté du discours musical, confrontant les caractères des différents motifs ou mouvements avec éloquence. Heriberto Delgado Guttiérrez charma de manière particulière par la générosité de son jeu, un timbre tout en rondeur, gorgé de soleil et sucré comme les raisins d’Italie. Il n’est qu’un regret envers la frugalité de l’ornementation. Quand l’orgue ne jouait pas, le continuo de Silvia Serrano Monesterolo et Maximilian Ehrhardt manquait de vocalité et de relief d’articulation, le phrasé étant souvent trop monochrome et le son un peu sec. Mais une belle énergie circulait entre les cinq compagnons, dont le plaisir de jouer ensemble était manifeste.
Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759)
Dixit Dominus HWV 232
Niccolò JOMMELLI (1714-1774)
Beatus vir (1751)
Rachel REDMOND (soprano), Marta FUMAGALLI (alto)
Ghislieri Choir & Consort, dir. Giulio PRANDI
Caterina IORA, Marta REDAELLI, Maria CANELA SCALABRINI, Sonia TEDLA, Valentina ARGENTIERI, Mara CORAZZA, Emma POPOLANI, Karin SELVA (sopranos)
Silvia BERTOLUZZA, Isabella DI PIETRO, Marta FUMAGALLI, Maria Chiara GALLO, Ester PIAZZA (altos)
Gianfranco CERRETO, Michele CONCATO, Xavier HETHERINGTON, Federico KAFTAI, Simone MILESI (ténors)
Renato CADEL, Renato DOLCINI, Antonio MASOTTI, Alessandro NUCCIO, Filippo TUCCIMEI (basses)
Marco BIANCHI, Elena TELÒ, Marco PIANTONI, Renata SPOTTI, Alberto STEVANIN, Amie WEISS, Ayako MATSUNAGA, Diego CASTELLI (violons), Gianni MARALDI, Emanuel MARCANTE (altos), Jorge Alberto GUERRERO, Claudia POZ (violoncelles), Nicola BARBIERI (contrebasse), Michele PASOTTI (théorbe), Maria Cecilia FARINA (orgue), Patrizia VARONE (clavecin)
La journée s’acheva en apothéose avec le concert des Ghislieri Choir & Consort. En première partie, le Beatus Vir de Nicolò Jommelli révéla l’extrême virtuosité de Rachel Redmond, lauréate du Jardin des Voix en 2011. La soprano évolua avec une agilité époustouflante dans l’écriture préclassique de Jommelli, surpassant les nombreux sauts d’octave et l’attaque de longues tenues dans l’aigu parée d’un sourire communicatif. Non seulement son visage, mais son timbre même rayonnait, léger, lumineux et coloré. En chef attentif, Giulio Prandi sut guider les musiciens des Ghislieri Choir & Consort à travers cette partition exigeante, riches de demies teintes et de figuralismes, pour offrir à la soliste un écrin sur mesure. Le Dixit Dominus de Haendel permit d’apprécier encore davantage la belle sonorité de l’orchestre (malgré un léger déficit de violoncelles qui rendit la basse un peu frêle) et l’expressivité du chœur. Tous ne firent qu’un, unis par la pensée d’un chef qui sut apporter à cette œuvre sacrée une touche théâtrale très méditerranéenne. Les tempi furent enlevés, le texte porté avec force et souplesse, chacun prenant joyeusement part à l’œuvre musicale en assumant pleinement le sens de l’écriture. Joie qui témoigne en ce soir de l’efficience d’une célébration !
Isaure Lavergne
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