Rédigé par 10 h 35 min Concerts, Critiques

Extatiques vibrations (Scarlatti, San Filippo Neri, Les Accents, Noally – Festival de la Chaise-Dieu, 21 août 2021)

San Filippo Neri de Scarlatti par l’Ensemble Les Accents au Festival de la Chaise-Dieu © Bertrand Pichène, 2021

Alessandro Scarlatti (1660-1725)
San Filippo Neri,
oratorio en deux parties composé sur un livret du cardinal Pietro Ottoboni, créé à Rome le 29 mars 1705 à la Chiesa Nuova.

Anicio Zorzi Giustiniani, ténor (San Filippo)
Blandine Staskiewicz, soprano (Carita)
Paul-Antoine Bénos Djian, contre-ténor (Fede)
Anthéa Pichanick, contralto (Speranza)

Ensemble les Accents,

Thibault Noally, violon et direction

Concert du samedi 21 août 2021, Abbatiale Saint-Robert, dans le cadre de la 55ème édition du Festival musical de la Chaise-Dieu

Contrainte l’année dernière à un silence monacal pour cause de crise sanitaire, l’abbatiale Saint-Robert de la Chaise-Dieu sert de nouveau d’imposant écrin au traditionnel festival de musique fondé voilà plus d’un demi-siècle par le pianiste Georges Cziffra (1921-1994) et qui cette année encore, pour sa 55ème édition, nous ravit d’une programmation alliant dans une élégance jamais prise en défaut des œuvres couvrant un large répertoire, servies par des interprètes aussi talentueux qu’exigeants, contribuant ainsi à faire de ce village de Haute-Loire un rendez-vous incontournable des festivals estivaux.

L’ensemble les Accents – fondé en 2014 par Thibault Noally, également violoniste soliste des Musiciens du Louvre de Marc Minkowski – avait déjà enchanté les mélomanes de la Chaise-Dieu lors de l’édition 2019, présentant Il Martirio di Santa Teodosia (1683), oratorio d’Alessandro Scarlatti (1660-1725), gravé la même année chez Aparté et remportant un succès critique mérité.

Il récidive ce soir avec cet Oratorio di San Filippo Neri (1705), reprenant pour partie les mêmes interprètes (Anthéa Pichanick, hier dans le rôle de Decio, aujourd’hui dans celui de la Speranza), deuxième volet d’un triptyque qui devrait se conclure lors de la prochaine édition du Festival par la présentation d’un troisième oratorio du maître italien dont l’œuvre, foisonnante, éclectique, parfois difficile à attribuer, atteint ici l’un de ses sommets.

L’œuvre, composée en l’honneur de la vie et du parcours spirituel de San Filippo Neri (1515-1595), bénédictin du Mont Cassin puis fondateur de la congrégation des Oratoriens, s’attache moins à retracer la vie de cette incontournable figure de la Contre-Réforme qu’à évoquer son parcours spirituel et intellectuel, le confrontant à ses doutes et à ses espérances. Autour de la figure évidemment centrale de San Filippo (incarné par Anicio Zorzi Giustiniani), l’oratorio met ainsi en scène les vertus théologales guidant son parcours : la Charité (Carita, Blandine Staskiewicz), la Foi (Fede, Paul-Antoine Bénos Djian) et l’Espérance (Speranza, Anthéa Pichanick). Autour de ces figures, sur l’habile livret du Cardinal Pietro Ottoboni  (ce fameux prélat qui organisa le duel Corelli / Haendel), Alessandro Scarlatti compose non une hagiographie, mais la relation sensible d’un parcours spirituel, dont ne sont exclus ni les doutes ni les enthousiasmes, donnant en cela une dimension forcement mystique mais quasi universelle à l’œuvre. Alessandro Scarlatti compose ce bref oratorio allégorique en deux parties, quatre solistes, avec une alternance de récitatifs et courts airs, un duo et trois trios, et Thibault Noally rend pleinement justice à cette musique colorée et inventive, très poétique, et à la fluidité souriante, aidé en cela par des solistes impliqués et homogènes.

San Filippo Neri de Scarlatti par l’Ensemble Les Accents au Festival de la Chaise-Dieu © Bertrand Pichène, 2021

Anicio Zorzi Giustiniani campe un San Filippo en proie aux introspections dès son premier récitatif après l’élégante introduction instrumentale (« Cos’e, dimanda il core soventa alla ragion, questo, ch’io sento interno ardor ». Quelle est, souvent demande le cœur à la raison, ce feu intérieur que je sens), récitatif tout en relief, parvenant à rendre expressive une partition relativement intime mais se devant de dominer le volume et la relative fraîcheur de l’abbatiale en ce début de représentation. L’artiste rend vivant le questionnement de San Filippo et saura d’autant plus nous émouvoir dans la suite du programme, offrant deux sommets vocaux avec les superbes airs « O dell’eterna mano » et surtout « Di ritrovarti » .

Pourtant, la véritable confirmation de la soirée viendra de Blandine Staskiewicz, offrant une réjouissante personnification de la charité, dynamique et fougueuse, ample et énergique, et dont la tessiture se joue à merveille de la hauteur de la voute, éblouissante d’entrée dans le récitatif « Filippo, ancor non senti quai nell’alma io t’accesi di santo amor vive facelle ardenti ? » (Philippe, ne ressens-tu pas encore ces torches vivantes et brûlantes d’amour saint que j’ai allumées dans ton âme ?) ou par la suite avec l’air « Se l’imago degl’eroi », toute en expressivité contenue, voix radieuse et virtuosité maitrisée. La mezzo, chantant pourtant ici une partie de soprano, démontre encore une fois son affinité avec le répertoire italien, et son sens des nuances, les articulations ciselées, la pureté du timbre confèrent à son personnage une présence radieuse.

Nous n’omettrons pas le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian, parfaitement à l’aise dans le rôle de Fede et dont l’apparence, discrète dans le plus noble sens du terme, n’a d’égale que la sincérité noble de son interprétation, remarquable dès « Io, che sono la Fede », extatique sur « Sia pur d’altri ». Assurément une voix à suivre…

Oublions-nous Anthéa Pichanick, la Speranza de cet oratorio ? Assurément non et la clarté de sa diction s’intègre parfaitement à la haute tenue de cette distribution. Toutefois, chez Scarlatti, l’Espérance rime avec tempérance et absence de débordements. D’où une partition plus mesurée, parfois discrète, permettant moins à la soprane de s’épanouir et de s’affirmer que ses collègues.

Thibault Noally à tête des Accents la Chaise-Dieu © Bertrand Pichène, 2021

Par sa direction précise et énergique, violon au menton, Thibault Noally rend justice à l’écriture de Scarlatti, toute italienne, une écriture vivace, contrastée, parfois débordante. Le rythme est le plus souvent enlevé, les attaques des cordes incisives (l’influence de Minkowski ?), tout en se laissant parfois aller à plus d’abandon pour accompagner le chant, sachant mettre les moyens des Accents entièrement au service de l’œuvre, sans extravagances instrumentales excessives mais avec des couleurs chamarrées (y compris l’éclat rutilant de la trompette), des cordes évocatrices et grainées, un soutien harmonique très présent, soutenant les personnages et l’intrigue avec allant, évitant que l’oratorio ne s’enlise dans un dialogue statique.

Le marmoréen gisant du Pape Clément VI aura donc tressailli des extatiques vibrations de Scarlatti en ce soir d’août à la Chaise-Dieu. Le festival se poursuit jusqu’au 29 et nous ne saurions trop recommander à nos lecteurs de d’ores et déjà prévoir leur déplacement pour l’année prochaine, pour la musique bien sûr, et pour le lieu bien évidemment, d’autant qu’ils pourront apprécier, outre la sérénité de l’abbaye, la présentation sobre et raffinée des quatorze tapisseries flamandes du XVIème siècle qui servaient de tentures de chœur, récemment restaurées après six ans de travaux et classées « Monuments historiques » dès 1844.

Dans le court entretien qu’il donne dans le livret du festival Thibault Noally confesse hésiter pour l’œuvre à présenter l’année prochaine entre Il Martirio di Santa Cecilia et La Vergine addolorata du même Scarlatti. Permettons-nous une suggestion, qu’il donne les deux et pense tout de suite à 2023 !

 

 

Pierre-Damien HOUVILLE

En savoir plus :

  • Site officiel de la 55ème édition du Festival musical de la Chaise-Dieu (du 19 au 29 août) 
Étiquettes : , , , , Dernière modification: 31 août 2021
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