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Entretien avec Cécile Roussat, danseuse et chorégraphe baroque

Entretien avec Cécile Roussat, danseuse et chorégraphe baroque. Pour beaucoup, les représentations et le DVD du Bourgeois Gentilhomme dirigé par Vincent Dumestre (Alpha) ont constitué une rupture. Pour la première fois, l’art baroque resurgissait dans sa cohérence et sa globalité, de l’éclairage à la bougie à la prononciation restituée, en passant par les costumes, la gestuelle, la musique, et… la danse…

Entretien avec Cécile Roussat, danseuse et chorégraphe baroque

Le Bourgeois Gentilhomme. © Alpha Productions

“Je me suis aperçue très récemment à quel point la danse baroque est une bizarrerie.”

Pour beaucoup, les représentations et le DVD du Bourgeois Gentilhomme dirigé par Vincent Dumestre (Alpha) ont constitué une rupture. Pour la première fois, l’art baroque resurgissait dans sa cohérence et sa globalité, de l’éclairage à la bougie à la prononciation restituée, en passant par les costumes, la gestuelle, la musique, et… la danse. C’est justement Cécile Roussat qui fut l’instigatrice de celle-ci. Diplômée de l’école internationale de Mimodrame Marcel Marceau, passionnée par la danse dès son plus jeune âge, cette artiste a accepté de nous accorder un entretien en juin dernier, lors de la tournée du Carnaval Baroque, toujours avec Vincent Dumestre.

Muse Baroque : J’aimerais revenir sur votre formation. Vous avez dit que vous aviez commencé par la danse baroque… C’est un parcours assez inhabituel, d’autant que vous avez commencé tôt, d’après ce qu’on peut lire dans les biographies des programmes de spectacles : dès l’âge de onze ans.

Cécile Roussat : J’ai des parents, surtout mon père, qui aiment beaucoup la musique baroque, j’étais donc un peu plongée dans la musique baroque. Mon père m’a proposé de faire de l’orgue et du clavecin, ce qui me plaisait… moyennement. Et puis j’ai vu Atys à la télévision, et j’ai tout de suite demandé à prendre des cours de ce type de danse ; je pense que le mouvement me convenait mieux, et particulièrement celui-ci. Au début, j’étais dans des cours pour adultes. C’était un peu compliqué, les cours étaient longs, mais après c’est devenu complètement normal.

M.B. : Mais on trouvait facilement des cours de danse baroque ?

C.R. : A Paris, il y avait deux cours, dont un régulier, celui de Cecilia Gracio Moura. Et puis je faisais surtout des stages tout l’été .

M.B. : Toujours d’après les programmes de spectacles, votre formation, c’est un peu de théâtre, mais surtout du mime et l’art du clown. Quelle part prend la parole dans vos créations ?

C.R. : Sans généraliser, la parole vient quand elle est nécessaire, quand il faut parler. S’il s’agit d’une création de type clownesque, par exemple, où j’interviens en tant que comédienne qui crée elle-même son rôle, la parole vient quand il faut qu’elle soit là. Il faut alors l’utiliser de façon essentielle, à mon sens, pour ne pas rentrer dans le “blabla” sur scène.

M.B. : Quel rapport cela peut entretenir avec le théâtre classique, qui, lui, est un théâtre de la parole ?

C.R. : Je n’ai jamais mis en scène une pièce classique, j’ai seulement interprété sous direction. La parole est essentielle dans les pièces de grands maîtres ont une parole essentielle, puisqu’elle est au premier plan de l’œuvre.

M.B. : Et la musique dans tout ça ? Mis à part la danse, où sa part est évidente… Quel lien par exemple avec le mime ou l’acrobatie ?

C.R. : L’art du mime, qui est ma principale formation, est souvent soutenu par la musique. Par exemple, Marcel Marceau, qui était mon maître, lui, faisait souvent des numéros sur des œuvres, par exemple sur Mozart. Il avait tellement l’impression que le mime était porté par la musique, qu’il disait « que Mozart avait écrit  pour lui » – dans un numéro qui s’appelle « La création du monde ». La musique a un sens par rapport à la théâtralité du mouvement. J’aime trouver la narration d’une œuvre, l’imaginaire dans laquelle elle nous place, ce qu’elle nous raconte. Les différents instruments, leurs voix, leurs couleurs, sont comme des comédiens.

M.B. : Parlons un peu du Bourgeois Gentilhomme, la production qui vous a un peu révélée…

C.R. : En effet…

Le Bourgeois Gentilhomme. © Alpha Productions

M.B. : Aviez-vous déjà réalisé des spectacles auparavant ?

C.R. : Pas de cette ampleur. En fait, quand Vincent Dumestre m’a contacté, j’avais vingt et un ans, je sortais vraiment de l’école Marceau ; pendant la création du Bourgeois, je continuais ma formation à droite et à gauche. J’avais fait des petites productions, toutes petites, presque de « sortie d’école ». Pour Vincent Dumestre aussi, c’était la première grosse production. Il y a eu une véritable émulation.

M.B. : Justement, comme on l’a beaucoup dit, il y a vraiment une unité entre comédie, musique et ballet dans le Bourgeois.

C.R. : C’était un peu une magie du moment. On s’est trouvé à un moment très précis où nos univers et nos envies à Vincent Dumestre, Benjamin Lazar et moi-même étaient en harmonie.

M.B. : A l’origine, les deux points « phares » du Bourgeois étaient la prononciation restituée et l’éclairage à la bougie : on avait déjà fait le théâtre avec la musique, Hugo Reyne par exemple. La prononciation restituée, je suppose, a peu influé sur la danse…

C.R. : Non, cela avait un sens aussi. J’ai rencontré Eugène Green au départ, j’adhérais déjà à ce type de travail. La gestuelle et la belle danse ont beaucoup de rapports .Ce sont deux arts codifiés au service de l’émotion. Le geste de l’orateur et celui du danseur travaillent également sur la grâce, l’équilibre du corps, le détournement, la retenue. Cette prononciation donne du sens à ce type de danse et vice versa.

M.B. : L’éclairage a t-il bouleversé  la façon de danser ?

C.R. : On n’y pense pas souvent, mais si on éclaire à la bougie, l’espace doit être petit, on ne peut pas bénéficier d’une grande scène comme c’est le cas maintenant. Il faut donc revoir sa pensée moderne de l’espace. Voir un petit espace, est peu courant, surtout dans les grandes salles actuelles. C’est un concept original, le « petit pas »… C’est la principale chose, je pense. Mais il y a aussi la chaleur des bougies, leur fragilité, leurs ombres sur nos visages… Revenir à un éclairage électrique est très perturbant pour le jeu des acteurs et des danseurs.

M.B. : Que répondriez-vous à ces deux reproches qu’on fait habituellement à la danse baroque à savoir : « c’est trop petit, c’est répétitif. » ?

C.R. : Que  je suis d’accord ! (rires) Je me suis aperçue très récemment à quel point la danse baroque est une bizarrerie. Quand je suis arrivé à l’école Marceau, nous avions des cours de danse classique, et je ne comprenais  pas comment on pouvait danser ainsi : le « petit » me semblait plus juste, pour moi c’était la norme. Il me semble que si l’on envisage la danse ancienne comme une vieillerie qui sort de son tombeau, ce sera ennuyeux ; si on l’envisage comme une matière de travail, de recherche théâtral, ce sont des pas que l’on peut réinventer à l’infini.

Oui, c’est répétitif. Mais la danse classique peut l’être aussi si l’émotion n’est pas au rendez vous et ce malgré sa virtuosité…

M.B. : Entre le Bourgeois et le spectacle qu’on a vu hier, le Carnaval baroque, aviez-vous monté quelque chose ?

C.R. : Avant le Bourgeois, j’ai travaillé avec Vincent Dumestre sur un Ballet de Cour de 1625 « Le Ballet des Fées de la Forêt de St Germain » pour 4 danseurs et 12 musiciens.

M.B. : D’où vient le Carnaval ?

C.R. : Vincent Dumestre avait envie de faire ce spectacle. La création a été très rapide : quatre semaines. Nous avions fais des recherches iconographiques et nous avons travaillé en parallèle sur la construction musicale et scénique.

M.B. : C’est un spectacle original, j’aimerais prendre un exemple pour en parler un peu : vous utilisez la « Tarantella del Gargano », qui est une sérénade ; mais vous la traitez très différemment.

C.R. : Oui, je me suis plutôt inspirée des danses de tarentelle qui est une danse de transe. Le chanteur Olivier Marcaud est entouré par tout les autres personnages, qui sont masqués. Olivier semble peu à peu entrer dans la transe de l’amour dont parle cette chanson populaire. Je ne souhaitais pas illustrer directement les paroles dont la traduction pose d’ailleurs des interrogations. C’est également le cas pour d’autres partie du spectacle, par exemple le début, le « Palais ».où la mise en scène est plus onirique qu’illustrative.[voyez les pistes 8 à 11 du disque Il Fásolo, édité chez Alpha]

M.B. : S’il ne fallait retenir qu’une seule chose de ce spectacle qui est très riche ?

C.R. : C’est la fraîcheur, l’énergie, une joie mêlée de nostalgie qui j’espère ressortent de ces musiques et de ces personnages.

M.B. : Est-ce que vous avez d’autres projets en cours ?

C.R. : Nous travaillons Julien Lubek et moi avec John Eliot Gardiner durant l’été sur des œuvres de Rameau. Puis nous avons différents projet pour la saisons prochaine notamment une création autour de l’œuvre musicale et épistolaire de Durosoir musicien et soldat dans la guerre de 14-18 : un autre univers…

M.B. : Le ballet de cour vous intéresse -il ?

C.R. : Ce qui me plaît dans le ballet de cour, c’est sa fantaisie, Quand on regarde l’iconographie, il y a des costumes absolument délirants : des personnages  costumés en viole, qui ont un luth sur la tête… C’est un univers de drôlerie et de poésie d’une richesse infinie.

M.B. : Un rêve ? Tout est permis…

C.R. : Julien Lubek et moi rêvons de monter, avec notre compagnie, un spectacle qui combinerait mime, danse, acrobatie, clown, animaux, musique… Avis aux mécènes ! Pour le moment, c’est un brouillon que nous appelons « La Création » .  Sinon chorégraphier Alcyone et un jour peut être travailler sur La Flûte enchantée…. Voilà quelques rêves !

Propos recueillis par Loïc Chahine à Nantes le 13 juin 2007.

 

Lire aussi :
Biographie de Cécile Roussat

Étiquettes : , , Dernière modification: 9 juin 2020
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