Rédigé par 12 h 11 min Concerts, Critiques

Tito Manlio

Faisant montre de cette curiosité qui caractérise le Festival d’Ambronay, Alain Brunet invite pour cette édition le brillant orchestre Concerto de’ Cavalieri de Rome pour une recréation unique, celle du Tito Manlio de 1720, signé de trois noms : Giovanni Giorgi, Gaetano Boni et Antonio Vivaldi…

Gaetano Boni, Giovanni Giorgi & Antonio Vivaldi

Tito Manlio (1720), 
Concerto de’ Cavalieri, dir. Marcello de Lisa

Festival d’Ambronay 2013

Marcello Di Lisa © Lorenzo Franzi

Marcello Di Lisa © Lorenzo Franzi

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Gaetano Boni, Giovanni Giorgi & Antonio Vivaldi
Tito Manlio – 1720

Manlio – Vivica Genaux – Mezzo-sopran
Servilia – Ann Hallenberg – Mezzo-soprano
Vittellia – Mari Eriksmoen – Soprano
Tito – Magnus Staveland – Ténor
Lucio – Mary-Ellen Nesi – Mezzo-soprano 

Concerto de’ Cavalieri
Marcello de Lisa 

Vendredi 20 septembre 2013, Abbatiale d’Ambronay – 20h30 

Faisant montre de cette curiosité qui caractérise le Festival d’Ambronay, Alain Brunet invite pour cette édition le brillant orchestre Concerto de’ Cavalieri de Rome pour une recréation unique, celle du Tito Manlio de 1720, signé de trois noms : Giovanni Giorgi,  Gaetano Boni et Antonio Vivaldi est assez différent de celui que Vivaldi composa pour Mantoue un an auparavant.

En effet ce « Pasticcio » constitue une curiosité puisqu’il engage trois univers musicaux très différents. Le premier, celui de Boni est plutôt attaché au pathétique et au langoureux. Le deuxième, Giorgi, est très virtuose et nous a surpris par la richesse de son langage musical, l’inventivité dramatique et la puissance des émotions. Le troisième acte signé de Vivaldi n’est qu’une pâle image de ce que le maître vénitien aurait pu réaliser, néanmoins, son écriture reste intacte. En définitive, celui qui brilla des trois compositeurs est sans aucun doute Giovanni Giorgi. De Boni et de Giorgi peu de choses ressortent des arches vénérables de l’histoire. Il était temps alors de les entendre.

Si l’œuvre n’est pas sans rebuter par le manque de récitatifs et a laissé indifférents certains membres de l’auditoire, il s’agit ici d’un opéra puissant par sa veine collective. Et ce pasticcio fut défendu d’une manière admirable et solidaire par une distribution d’exception, dominée par les nouvelles étoiles du Nord.

En effet le rôle titre de Tito revient au ténor scandinave Magnus Staveland. Avec une voix corsée tenant plus du ténor héroïque et même du baryténor, Magnus Staveland frise souvent le pathétique et ses lamenti sont des perles d’introspection, bien que nous regrettons une certaine raideur dans la vocalise. Magnus Staveland a le cœur et la bravoure, il émeut naturellement, ce n’est pas un pyrotechnicien.

Face à lui en fils rebelle, le Manlio de Vivica Genaux est d’une splendeur sans pareille. Si l’on a pu lui reprocher parfois son manque de renouvellement, ce serait injuste ici. Le rôle est difficile musicalement et dramatiquement puisque Vivica Genaux doit jongler entre trois styles très différents, trois manières de concevoir la virtuosité et le pathos. Elle s’en sort avec une grâce, une maitrise certaine de l’ornement et la révélation d’un talent pour l’adaptation, de même qu’une flexibilité sans faille ! Sa voix a pris en quelques années une envergure dans le grave, des nouvelles couleurs dans l’aigu et une souplesse qui révèlent une grande force interprétative. 

La Servilia est dévolue à Ann Hallenberg que nous découvrons avec passion à chacune de ses incarnations. Parce que Ann Hallenberg va au delà de l’interprétation, elle est une tragédienne confirmée, elle nous révèle la musique et le drame par la puissance de son jeu. Le talent de cette mezzo-soprano réside dans la maîtrise certaine du style, de l’ornementation dosée avec intelligence et sensibilité, incarnant à la fois la délicatesse et la détermination.

Une nouvelle venue dans l’empyrée baroque est Mari Eriksmoen. Cette soprano norvégienne nous ravit avec un timbre très délicat et une véritable habileté pour l’ornementation. Néanmoins nous remarquons que sa Vittellia manque un peu d’envergure à cause de son côté quelque peu angélique. C’est bien dommage puisque les pages pour Vittellia renferment des bijoux.

Il y longtemps que nous louons le talent inégalable de la mezzo-soprano grecque Mary-Ellen Nesi. Avec un timbre percutant et une dimension splendide dans le dramatisme, Mary-Ellen Nesi nous comble tout le temps. Ici elle campe le fier Lucio et ne nous déçoit pas d’une note. Le talent de Mary-Ellen Nesi est basé sur une compréhension parfaite du rapport texte-musique et une incarnation histrionique parfaite qui la rendent crédible.

A la tête du magnifique Concerto de’ Cavalieri, Marcello de Lisa sait rendre cohérente cette partition tripartite et rend à chaque compositeur sa couleur et sa place. Sa direction est enthousiasmante de virtuosité, de couleurs et d’investissement. Le Concerto de’Cavalieri qui nous avait épaté lors de leur récital Scarlatti avec Daniela Barcellona au disque, ici nous fait vivre une expérience unique. Nous avons particulièrement remarqué la personnalité et l’investissement du premier violon Francesca Vicari, une artiste exceptionnelle d’inspiration et d’élégance dans la tenue et le phrasé. Un bel équilibre dans cet orchestre exceptionnel qui est le digne héritier des fosses vénérables et mythiques des Tordinona, Valle et Argentina ! Nous en voulons encore de ces Cavalieri qui remportent toutes les courses du baroque !

A la tête de ce merveilleux ensemble, Marcello de Lisa place très haut la barre de la direction. Avec un souci constant des intervalles, des ornements, une précision dans la tenue de l’équilibre entre chant et instrumentistes, et un soutien adapté à chaque interprète. Marcello de Lisa se révèle un jeune chef dynamique et enthousiasmant, il n’abuse pas des ornements de la partition, mais il les sublime en gardant une cohérence qui va de soi. 

Nuit étincelante en définitive, Ambronay se paraît à nouveau d’astres et sa tiare porta des nouveaux diamants, plus splendides peut-être que ceux qui l’ornèrent par le passé.

Pedro-Octavio Diaz

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