Rédigé par 17 h 39 min Actualités, Editos

La critique est-elle encore possible ?

A l’heure de l’été, des cigales, des grillons et des festivals, alors que le Delta remonte, que la tension descend, et que la fatigue s’installe ou se dissipe, l’heure du dialogue avec soi-même égrène ses piqures. A l’ombre des jeunes filles en fleurs, nous relisons de vieux numéros de l’Avant-Scène, et nous esclaffons des notules discographiques. Superbement troussées, trop courtes, parfois injustes, quelquefois méchantes. Des généralités sur ls artistes, descendus à coups de mitraillettes, bombardés à la manière US Air Force au demi-kilomètre près. On s’insurge et on s’indigne. “Cela ne se fait pas”. C’est même grossier, peu professionnel, à la limite de l’attaque ad hominem. Mais cela a le mérite d’oser. Et sans défendre ce genre désuet du critique narcissique plus occupé à détruire des réputations qu’à écouter l’œuvre,  l’on prend conscience de l’abîme entre ces années 80 et la prose journalistique policée d’aujourd’hui ; en généralisant, bien entendu, cela va de soi. Mais poussons un coup de gueule face à une évolution de la société et des mentalités peu propice à nos travaux, à l’heure de la patrimonialisation générale du passé (le moindre obscur compositeur devient un génie oublié), du relativisme ambiant (c’est toujours admirable, même le Devin de Village qui vaut bien l’Art de la Fugue), de l’éloge de l’altérité (“Si, si, Paisiello à Saint-Pétersbourg, je vous dis, c’est génial”), de l’individu porté au piédestal, de la discrimination positive (“il chante moins bien que Gérard Lesne, mais rappelez-vous ma bonne dame qu’il vient d’un milieu social défavorisé et n’est pas francophone, alors c’est dur pour lui, vous comprenez”), enfin, du discrédit jeté sur la figure de l’intellectuel ou du journaliste et encore plus du critique (“des musiciens ratés, c’est certain, et qui ne seraient pas capables de faire un trille, à coup sûr !”). Ajoutons-y enfin le culte de l’homme pressé, la dépénalisation du cannabis qui conduit à des interprétations binaires (un air de fureur ça boome, un air de désespoir ça s’étiiiiire), et vous obtiendrez un cocktail détonnant. 

Cela étant dit, il suffit de jeter cela derrière le talus, et de poursuivre son microsillon avec conviction, persévérance et aveuglement. Et d’espérer que nos lecteurs avisés ne se laisseront guère atteindre par certains effets de mode du temps, tels un Haendel et un Bach fidèles à leur style devenu quelque peu archaïsant en plein milieu du Siècle des Lumières.

Un très bel été à tous !

 

 

Viet-Linh NGUYEN

 

 

Dernière modification: 25 septembre 2021
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