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Petits trésors (Pouget, Les Mots de la Monnaie – Mardaga)

L’arrivée de l’opéra italien dans la capitale flamande suit de près son succès à Paris et dans les autres grandes villes d’Europe. En février 1650 est donné devant la Cour Ulisse all’isola di Circe de Zamponi. Il faudra toutefois attendre 1681 et l’installation d’une troupe italienne dans un entrepôt du Quai au Foin transformé en salle de spectacles pour que soient données les premières représentations publiques.

La Monnaie Mardaga

Isabelle Pouget, Les Mots de la Monnaie

Editions Mardaga, 2014

 La Monnaie Mardaga

 

[clear]Les amateurs de spectacles lyriques connaissent la scène de la Monnaie de Bruxelles, dont la réputation n’est plus à faire. La richesse de sa programmation, du baroque au contemporain, l’audace de ses mises en scène la placent sans conteste parmi les grandes scènes européennes et mondiales. La brochure illustrée publiée récemment par Isabelle Pouget aux éditions Mardaga nous décrit par le menu le théâtre, sa grande salle et ses dépendances moins connues (comme l’étonnant Salon royal, au sol décoré par Buren), mais aussi ses ateliers, ses coulisses et sa machinerie. Son fonctionnement y est relaté avec précision, y compris ses finances, avec une rétrospective fort intéressante sur la billetterie ancienne (où figure un billet rédigé en allemand qui témoigne de l’occupation de la capitale belge durant la Première Guerre Mondiale). Tout ce qui touche à la Monnaie y est abordé, de la place de la culture lyrique dans le tourisme bruxellois aux actions en faveur des publics démunis. Des développements particuliers sont bien entendu consacrés à l’orchestre, aux chanteurs et aux répétitions. Grâce à une entrée par rubriques regroupées en chapitres (six au total : le lieu, l’histoire, la représentation, les ateliers, les coulisses, l’entreprise), l’ouvrage est d’une consultation agréable : on peut soit le lire de bout en bout, soit le parcourir au gré de ses centres d’intérêt. Le texte est accompagné de nombreuses illustrations, et enrichi d’anecdotes ou de précisions rapportées sur fond jaune clair.

 

Quelques repères historiques

L’arrivée de l’opéra italien dans la capitale flamande suit de près son succès à Paris et dans les autres grandes villes d’Europe. En février 1650 est donné devant la Cour Ulisse all’isola di Circe de Zamponi. Il faudra toutefois attendre 1681 et l’installation d’une troupe italienne dans un entrepôt du Quai au Foin transformé en salle de spectacles pour que soient données les premières représentations publiques.

Gio Paolo Bombarda, gendre du compositeur Ercole Bernabei, exploite ainsi pendant trois ans une salle pompeusement appelée l’Académie de Musique, en s’associant avec le compositeur Pietro Antonio Fiocco. Mais Bombarda est également conseiller de Maximilien-Emmanuel de Bavière, devenu gouverneur des Pays-Bas. Devant le succès de son entreprise, il obtient l’appui de ce dernier pour bâtir une nouvelle salle plus adaptée. La volonté de la Ville de réparer les destructions dûes aux bombardements du maréchal de Villeroy durant la Guerre de Neuf Ans favorise son entreprise : il acquiert un terrain près de la Grand’Place, occupé précédemment par un hôtel des Monnaies. La construction de la nouvelle salle est confiée à deux architectes italiens, Paolo et Pietro Bezzi. Les travaux, commencés en 1696, s’achèvent fin 1699. La salle, en bois, comprenait cinq étages de loges “à l’italienne” et pouvait accueillir environ 1200 spectateurs. Mais elle était totalement enclavée dans les habitations. Dès la fin du XVIIIème siècle les directeurs successifs réclamaient une nouvelle salle, dotée d’une machinerie moderne et capable d’accueillir davantage de spectateurs.

Ironie de l’histoire : de même que l’invasion des troupes de Louis XIV avait favorisé l’entreprise de Bombarda plus d’un siècle auparavant, c’est cette fois l’invasion napoléonienne qui sera décisive dans la construction d’une nouvelle salle ! Constatant lui-même la désuétude de l’ancien opéra, Napoléon mobilise l’architecte français Louis-Emmanuel-Aimé Damesme. Dès 1810 celui-ci dresse les plans des nouveaux bâtiments, qu’il prévoit d’ériger sur les terrains d’un ancien couvent de dominicains situés près du théâtre existant, acquis par la Ville. L’ouvrage vit le jour en 1819, après le départ des Français, il pouvait accueillir près de 2000 spectateurs. Malheureusement, comme de nombreuses salles au XIXème siècle, il fut ruiné par un incendie le 21 janvier 1855 : ne subsistèrent que les quatre murs, et le beau péristyle néo-classique de la façade. 

Au terme d’un concours lancé par la Ville, l’architecte Poelaert reconstrusit le théâtre, en reprenant la disposition en balcons et loges “à la française” introduite dans l’ancienne salle en 1853 par Séchan. Les murs restés debout furent consolidés avec une charpente en fonte, et un rideau de fer isolait désormais la scène de la salle en cas d’incendie. Poelaert agrandit le cadre et la scène, de même que la fosse et les vestiaires. Côté décoration les couleurs tendres héritées du XVIIIème siècle firent place au rouge cramoisi qui prédominait à l’époque dans les salles de spectacle européennes.

La dernière transformation est liée au renouveau musical de la scène lyrique bruxelloise, avec l’arrivée de Gérard Mortier en 1981. Le bâtiment était en mauvais état, la machinerie vétuste et l’intérieur dégradé. En 1985 commença une restauration qui dura plus d’un an. Une nouvelle machinerie fut installée, la cage de scène surélevée, et la fosse d’orchestre dotée d’un plancher mobile. De nouveaux fauteuils furent installés, ramenant finalement la capacité de la salle à un peu moins de 1200 spectateurs, soit celle de la salle créée par Bombarda trois siècles plus tôt !

On ne peut terminer cette chronique sans relater un épisode historique. L’histoire de la Monnaie est en effet indissociablement liée à celle de la Belgique. Après la chute de l’Empire, les provinces belges furent annexées par les Pays-Bas. Au soir du 25 août 1830, Guillaume Ier d’Orange finit par autoriser la représentation de La Muette de Portici, oeuvre jusque-là censurée du français Auber. Lorsqu’au quatrième acte le patriote napolitain Masaniello, repris par le choeur, entonna “Courrons à la vengeance ! Des armes, des flambeaux ! Et que notre vaillance/ Mette un terme à nos maux”, le public quitta la salle en appelant aux armes contre l’occupant néerlandais. Dans les jours qui suivirent, les troubles s’étendirent à tout le pays, et l’indépendance du nouveau royaume fut proclamée le 4 octobre suivant. La Belgique est ainsi le seul pays qui peut s’enorgueillir d’être né d’une représentation d’opéra ! 

Après la lecture de l’ouvrage d’Isabelle Pouget, vous verrez probablement la Monnaie d’un autre oeil lors de votre prochain passage à Bruxelles.

Bruno MAURY

Pouget Isabelle 

Patrimoine culturel
Octobre 2014
16,5X21
Broché
144 pages
ISBN : 9782804701796
19.50 €

Étiquettes : Dernière modification: 3 janvier 2015
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