La Question du Diapason
[clear]Il n’entre pas dans notre discussion d’aborder l’aspect technique du concept du diapason, liée au système de notation musical. A ce sujet, on se réfèrera par exemple à l’article de J. Chaillet dans l’Encyclopedia Universalis.
Définition sommaire
Le diapason (a’) est une fréquence qui se mesure en Hertz (Hz). Loin des calculs physiques, il suffit de savoir que le son est produit par des vibrations. Plus la fréquence-diapason est élevée, plus le son est aigu. Le diapason représente la fréquence correspondant au « la 3 » de la gamme.
Il s’agit d’ailleurs du principe de l’appareil également appelé diapason servant à donner le « la » et inventé aux alentours de 1690. (Auparavant un instrument « fixe » servait à accorder les autres) Composé le plus souvent de métal (insensible aux changement de température), c’est un objet en forme de Y. La longueur et la distance des branches déterminent une fréquence fixe, connue à l’avance. Lorsque l’on heurte le diapason, les branches se mettent à vibrer. Le fait de poser le « pied » du diapason sur une surface amplifie le son, plus particulièrement s’il s’agit d’un matériau acoustique comme le bois. Le diapason, en donnant le « la » de référence aux instrumentistes leur permet donc de s’accorder.
Quel diapason ?
Puisque le diapason stricto sensu est une hauteur de son, la question se pose de savoir quel diapason était employé à l’époque baroque, c’est-à-dire durant le dix-septième siècle et la première moitié du siècle suivant.
De nos jours, le « la » est fixé à 440 Hz. Ce diapason est universellement adopté par tous les pays utilisant les instruments classiques et le système de notation-création européen.
Il n’en a pas toujours été ainsi.
La première difficulté est de définir quelle fréquence était utilisée il y a quelques siècles. L’ère baroque connaît une « zone commune plus ou moins large » (J.Chaillet) et non une hauteur fixe. La notion de diapason – tel que nous l’entendons – étant inconnue à l’époque, il est normal que les traités n’en fasse pas mention. On doit donc se fonder sur des preuves archéologiques matérielles. Pour cela, il faut examiner les instruments à diapason fixe (flûtes, hautbois, bassons, trompettes, cors, trombones, cornets, orgues…) de l’époque considérée. Ces instruments doivent être dans leur configuration première, sans altération, ajout ou transformation par rapport à leur facture originelle.
Il résulte de ces observations qu’on ne peut en aucun cas parler d’uniformité ou de cohérence du diapason baroque. La fréquence varie:
- en fonction du lieu. Il y a des différences non seulement entre les aires géographiques – le terme « aire » est préférable à « pays » car les frontières politiques ne correspondent pas exactement au substrat de la pratique musicale – mais également entre les provinces et les villes. Le « la » de l’église des Feuillants à Paris n’est pas forcément le même que celui de la Cathédrale de Strasbourg…
- en fonction de l’époque. Le vocable « baroque » regroupe plus d’un siècle et l’unité qu’il donne est totalement artificielle. D’ailleurs, les bornes du « baroque » musical ne sont-elles pas différentes de celles du « baroque » architectural ou pictural ? Le diapason d’un même lieu en 1620 risque donc de ne pas être identique à celui de 1730.
- en fonction du genre de musique : le diapason de chambre n’est pas forcément le même que le diapason d’église.
En conclusion, il est impossible d’établir un diapason baroque qui s’appliquerait à toutes les oeuvres de l’époque considérée. En théorie, l’étude doit être faite « paroisse par paroisse ». Par exemple, on tachera de mesurer le diapason de l’orgue de la Chapelle du Château de Versailles pour jouer un grand motet de Rameau.
Evidemment, il serait utopique de retrouver le diapason exact de chaque oeuvre, sachant que le morceau en question a pu être composé à A, joué une première fois à B et rejoué à C avec les lieux A, B, C possédant tous des diapasons différents dus à la facture instrumentale locale. De plus, des différences de fréquence minimes ne seraient pas appréciables à l’oreille et entraîneraient des coûts monstrueux de changements d’instruments, sans compter la déstabilisation de l’instrumentiste dont les repères seraient à chaque fois remis en question.
Par convention, on admet généralement que :
- Le diapason moderne est à 440 Hz.
- Le diapason baroque français tourne autour de 392 Hz, assez grave.
- Le diapason baroque anglais de la deuxième moitié du XVIIème siècle se rapproche de celui adopté par la France (influence stylistique).
- Le diapason baroque italien est bas au Sud de la péninsule (diapason romain à 392 Hz) et s’élève au fur et à mesure que l’on remonte vers le Nord. La plus haute fréquence est celle de Venise, autour de 460 Hz.
- Le diapason germanique et anglais du XVIIIème est fixé aux alentours de 415 Hz, tout comme le diapason du haut baroque de la première moitié du XVIIème. Cependant, le diapason d’église est un ton plus haut, vers 465 Hz.
Il s’agit là d’une généralisation très simplifiée, donnée à titre indicatif.
V.L.N.
Reportez-vous à la jaquette de vos enregistrement où le diapason figure toujours (quoiqu’en police fort réduite) pour en savoir plus. Parfois, le choix du diapason est bien expliqué mais c’est plutôt rare: Jean-Claude Malgoire pour son Alceste (392 Hz), Alessandro de Marchi pour sa Judita Triumphans (460 Hz) ou Jakob Lindberg pour ses Sonates de Scarlatti (392 Hz) font figures d’exception.
Annexe : Le diapason du Concentus Musicus Wien de Nikolaus Harnoncourt
» Dans les orchestres symphoniques modernes, le diapason (la 3) est normalement fixé à 440 Hz, certains le fixent encore un peu plus haut, parce que la pureté du son s’en trouve renforcée. Les » instrument d’époque » sont en général accordés à une fréquence de 415 Hz, soit exactement un demi ton plus bas
Au Concentus Musicus, le diapason varie d’après l’époque stylistique et l’origine géographique de l’instrument. Le critère, ce sont les expériences avec les instruments à vent non modernisés, mais ce sont aussi les possibilités de le voix humaine, que l’on ne doit pas mener à ses limites dans des parties « extrêmes » de Mozart comme s’il s’agissait de la Neuvième symphonie de Beethoven.
Pour Mozart et Haydn, on a donc choisi une fréquence de 430 Hz, alors que l’on adopte la fréquence de 440 Hz pour les premières œuvres du baroque italien ainsi que pour Monteverdi et Gabrieli.
Pour la musique baroque allemande, Bach et Haendel surtout, c’est la fréquence de 421 Hz qui est la norme. Cette valeur a été fixée en fonction de deux instruments à vent ; ils occupent une place historique pour la simple raison que les sons qu’ils émettent sont les plus purs lorsqu’on en joue à cette fréquence: il s’agit de la flûte Grenser et du hautbois Paulhahn, qui datent de la première moitié du XVIIème siècle (…). «
Monica Mertl, Alice et Nikolaus Harnoncourt, Versant Sud, 2002, p. 141.
Étiquettes : Harnoncourt, instrument Dernière modification: 22 mai 2020
[…] sur les jaquettes de vos CDs, à côté du nom du claveciniste ou du diapason utilisé (cf. La Question du Diapason). Au delà de la poésie mystérieuse qui s’en dégage, à quoi se rapportent ces […]