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Des Ravages de la Grippe en version de concert

Dans les années voire les siècles à venir, que retiendront les historiens de notre épidémie de Grippe A ? Se délecteront-ils à l’idée de fournir en annexe de leurs doctes ouvrages électroniques “Pandémi du siècle 21 d’après les documents contemporin” (ortho FR simplifiée d’après la réforme de 2022) des extraits de nos carnets de mélomanes de l’automne 2009 ? On y trouverait par exemple cette “relation de l’excellent Opéra ***** de Monsieur Haendel, donné à ***** le 2 d’octobre (extraits) par MDLMB”. Toute ressemblance avec des personnages, lieux ou situations existants ne serait naturellement que pure et fortuite et malicieuse coïncidence…

James le Palmer, Moines défigurés par la peste, Omne Bonum 1360-1375 © Wikimedia Commons / British Library, Record Number: c6541-07; Shelfmark: Royal 6 E. VI; Page Folio Number: f.301.

Dans les années voire les siècles à venir, que retiendront les historiens de notre épidémie de Grippe A ? Se délecteront-ils à l’idée de fournir en annexe de leurs doctes ouvrages électroniques “Pandémi du siècle 21 d’après les documents contemporin” (ortho FR simplifiée d’après la réforme de 2022)  des extraits de nos carnets de mélomanes de l’automne 2009 ? On y trouverait par exemple cette “relation de l’excellent Opéra ***** de Monsieur Haendel, donné à ***** le 2 d’octobre (extraits) par MDLMB”. Toute ressemblance avec des personnages, lieux ou situations existants ne serait naturellement que pure et fortuite et malicieuse coïncidence…

“La salle était emplie de la ruche habituelle de ces lieux parisiens courus, où se côtoyaient d’un air parfois complice et souvent dédaigneux des vieux abonnés blasés, des cadres supérieurs épuisés mais dont la présence relevait du devoir conjugal, de riches étudiants aux parents mélomanes, quelques journalistes fatigués et à la santé chancelante à force de passer d’un foyer potentiel de propagation du virus à un autre. Qu’on s’imagine en effet l’effet désastreux en termes de santé publique de cet amas cultivé, assis dans une promiscuité douteuse dans le camouflage de la pénombre, pendant près de 3 heures consécutives, avec pour seule échappatoire vers l’air vicié de l’Avenue une entracte de toute manière dévolue aux échanges mondains du côté du bar.

Les instrumentistes entrent en scène, d’un pas leste, l’œil scintillant et espiègle. La moitié du parterre applaudit, l’autre en profite pour partir en expédition spéléologique dans les sac à mains afin de saisir un paquet de mouchoirs de format 7,5 sur 5,2 cm afin de le placer à portée de main, près du programme en papier glacé. Les solistes font leur entrée, laissant admirer un sillage coloré de soie sauvage, et la noble grisaille des habits de soirée (NdA : voir annexe  : parures et costumes au débu du siècle 21). Les applaudissements sont plus nourris, les derniers retardataires se contentant d’éternuer dans leurs manches. Enfin le chef, sourire modeste aux lèvres, partition énorme sous le bras prend place, dans un tonnerre hystérique dû à son talent et proportionnel au prix du billet.

L’ouverture passe distraitement, le public cherchant soit à consulter les notes de programme dans les ténèbres, soit à crachoter discrètement avant que les airs n’arrivent. Les premiers récitatifs sont encore audibles, la fin du premier air, galant et quelconque, donne lieu à un déferlement de raclages de gorges. Quelques regards noirs fusillent les insolents, le chien aboie, l’opéra passe. Acte I, scène 9, l’air de désespoir de la soprano vedette venue du froid laisse les auditeurs de marbre en dépit des ports de voix divins de l’artiste. Il faut avouer que les travées IX à XIV (NdA : les chifres ancien étai encore utilisé au siècle 21) sont remués par des fuyards qui s’enfuient vers les latrines en bousculant tout opposant à leur passage et en forçant leurs voisins d’un soir à se lever, tandis que du côté des loges, des reniflements suspects submergent les cordes en sourdines de l’orchestre italien. Par réaction, le chef accélère la battue, insère un crescendo par paliers, hésite à faire doubler le basson par une trompette naturelle perçante. Heureusement, le maître se retient, l’ingénieur de Radio France est rassuré, l’air se finit sous un fracas d’applaudissements coupable.

Entracte. Une partie du public regagne pudiquement l’arrêt de taxi le plus proche, une autre s’avance courageusement vers le bar où le serveur n’est pour une fois pas obligé d’envier la déesse Shiva (NdA : voir l’Enciclopédi, entrée Religion). Le nombre de coupes de champagne, commerce fort lucratif, décline puisqu’il se marie mal au Tamiflu (NdA : médicamen de l’épok). Les ventes d’eau pétillante préparent leur entrée en bourse. Parfois, les souhaits des assoiffés sont peu compréhensibles, non en raison d’un accent chic ou étranger, mais à cause du masque hospitalier qui couvre toute la partie inférieure du visage, à la manière d’une bavière d’armure du XVème siècle (NdA : incompréensible). Les conversations s’engagent tout de même, quelques chasseurs entreprenants n’hésitant pas à se rapprocher de charmantes damoiselles pour leur demander négligemment leur avis sur les coupes pratiquées dans le 2nd acte après la scène de la bataille. Ils sont rapidement éloignés et mis en quarantaine derrière la zone des + 70 cm préconisée par le Ministère de la Santé et son site Internet Info’ Pandémie Grippale (NdA : Internet étai à cet époq un réso de comunicassion international”). La sonnette sonne, l’alarme épidémique ne retentit pas, un tiers des spectateurs regagne ses places avec résignation…

Viet-Linh Nguyen

Dernière modification: 4 octobre 2009
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