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Dernière mise à jour 18 octobre 2011
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Chronique Concert Haendel, Agrippina, Le Concert d'Astrée, dir. Emmanuelle Haïm mise en scène Jean-Yves Ruf
© Gilles Abegg / Opéra de Dijon
Georg Friedrich HAENDEL (1685 - 1759)
Agrippina (1709 ?/ 1710) Opéra en trois actes, sur un livret de Vincenzo Grimani
Solistes : Alexandra Coku (Agrippine), Renata Pokupic (Néron), Sonia Yoncheva (Poppée), Tim Mead (Othon), Alastair Miles (Claude), Riccardo Novaro (Pallas), Pascal Bertin (Narcisse), Jean-Gabriel Saint-Martin (Lesbus) Acrobate : Cyril Casmèze (la Bête)
Le Concert d'Astrée Direction : Emmanuel Haïm
Mise en scène : Jean-Yves Ruf, assisté d'Anaïs de Courson Scénographie : Laure Pichat Costumes : Claudia Jenatsch Lumières : Christian Dubet
Représentation du 8 octobre 2011 à l'Opéra de Dijon (21)
Les monstres sacrés du cher Saxon
Haendel composa Agrippine lors de son séjour en Italie, pour le carnaval 1709-1710. Les circonstances de la première représentation ne sont pas connues précisément, et si la saison du carnaval débutait juste après Noël (le 26 décembre) il semble probable que l'œuvre fut plutôt jouée à partir de janvier suivant au théâtre San Giovanni Grisostomo de Venise. Le "recyclage" – pardon la réutilisation, sous le procédé dit de "parodie" - brillant d'airs empruntés à des créations antérieures sacrifie à une tradition en vogue à l'époque. On peut citer ainsi la fameuse entrée de Marie-Madeleine dans la Resurrezione, reprise et développée pour le rôle d'Agrippine -"Ho un no so che nel core", tous deux créés par Margharita Durastanti. Au total, Agrippine aligne près d'une quarantaine d'airs, alors que les créations de la "maturité londonienne" se limiteront à une vingtaine environ ! Il faut dire que le livret du cardinal Grimani, futur vice-roi de Naples, s'avère d'une incroyable richesse : drame politico-érotique avec six personnages principaux aux rôles équilibrés, montrant les variations de psychologies complexes où les veuleries humaines (le pouvoir, la jalousie, les trahisons, les séductions) semblent mener le monde. Les contemporains ne pouvaient évidemment s'empêcher de faire un parallèle avec les intrigues de la cour pontificale : aussi l'œuvre devait trouver un autre lieu de création que la Ville Eternelle ! Or justement ce théâtre vénitien appartenait à la riche famille du librettiste Grimani... Agrippine, apprenant que Claude a trouvé la mort dans un naufrage au retour de son expédition en Bretagne, complote avec l'aide de Pallas et Narcisse. Elle promet à chacun d'eux le mariage, afin qu'ils fassent acclamer Néron comme empereur. Au moment de la proclamation, Lesbus annonce que Claude revient, sauvé des flots par Othon. Ce dernier confie à Agrippine qu'en récompense, Claude lui a promis l'empire. Elle persuade alors Poppée (courtisée à la fois par Othon, Néron et Claude !) qu'Othon l'a vendue à l'empereur afin de monter sur le trône. Elle lui conseille de se venger en excitant la jalousie de l'empereur envers Othon. Au début de l'acte II, Narcisse et Pallas, qui ont compris les manipulations d'Agrippine, veulent ensemble se venger. Claude annule au dernier moment le couronnement d'Othon, en l'accusant de trahison. Ce dernier, qui proclame qu'il aime Poppée plus que le trône, se voit abandonné de tous dans sa disgrâce. Il se réfugie auprès de Poppée, qui finit par l'écouter, et découvre le mensonge d'Agrippine. Néron arrive auprès de Poppée, après que Lesbus ait annoncé la venue de Claude. Pendant ce temps, Agrippine se reproche d'avoir trop parlé. Elle convoque alors tour à tour Narcisse et Pallas pour les convaincre de se tuer l'un l'autre, et presse Claude de couronner Néron, suite à la trahison supposée d'Othon. L'acte III s'ouvre dans la chambre de Poppée. Othon lui renouvelle sa fidélité ; elle le cache derrière une tenture. Elle fait de même avec Néron, qui arrive. Elle convainc alors Claude qu'il l'avait mal comprise quand elle avait dénoncé Othon : c'est Néron qui l'empêche de voir l'empereur ! Elle le cache à son tour, et va chercher Néron, qui tente de la posséder. Claude sort de sa cachette, et chasse l'importun, qui part se réfugier dans les jupes de sa mère. Pallas et Narcisse, écœurés des intrigues d'Agrippine, décident de révéler à Claude son projet de faire couronner Néron en son absence. L'empereur demande des explications à son épouse. Celle-ci, sans se démonter, explique qu'il s'agissait de défendre le trône de Claude, et force Narcisse et Pallas à confirmer cette version ! Et elle accuse Othon de courtiser Poppée. Claude convoque tout le monde pour la scène finale. Pour sonder les sentiments des uns et des autres, il annonce à Néron qu'il doit épouser Poppée, et qu'Othon montera sur le trône. Mais Néron refuse Poppée, et Othon déclare qu'il préfère Poppée au trône. Dans sagesse, Claude accorde à Othon la main de Poppée, et le trône à Néron...
© Gilles Abegg / Opéra de Dijon Pour cette œuvre brillante, aux personnages complexes dotés d'airs redoutables, Emmanuelle Haïm aligne un orchestre impeccable, dont la ligne musicale relaie harmonieusement des voix homogènes et globalement d'un bon niveau. Certes, on aimerait une ampleur plus virtuose chez Alexandra Coku, qui tient le rôle-titre. A défaut, son timbre légèrement acide assoit bien la crédibilité du personnage, renforcée par une bonne expressivité. Et elle s'acquitte avec bonheur des airs difficiles que lui réserve la partition : "L'alma mia" et les aigus acérés du "Tu ben degno" (au premier acte), le célèbre arioso "Pensieri, voi mi tormento" (au second acte, bien appuyé par les attaques nerveuses des cordes, et fort applaudi), un décoiffant "Ogni vento" qui conclut le second acte, le "Se voi pace" du troisième acte, agrémenté d'un beau solo de flûte. Renata Pokupic campe avec bonheur un Néron falot, papillonnant, et inféodé aux intrigues maternelles. Son apparence androgyne soigneusement cultivée sert un jeu théâtral expressif. Le timbre mat à la projection généreuse se coule avec bonheur dans les ornements les plus difficiles : "Col saggio tuo consiglio" au premier acte (avec une reprise très soignée), un timbre souple et moelleux pour le très érotique "Quando invita la donna l'amante", un "Coll'ardor" dévalé à une vitesse vertigineuse au troisième acte. Sonya Yoncheva dans le rôle de Poppée est incontestablement la révélation féminine de cette soirée. Dès son apparition pour le "Vaghe perle" dans une chambre jonchée de bouquets (cadeaux de ses nombreux admirateurs...?), elle révèle l'aisance d'un timbre cristallin qui égrène nonchalamment des ornements soigneusement ourlés, aussitôt applaudis avec force. Le moment de grâce se prolonge avec le "E un foco", efficacement soutenu par l'orchestre, puis le dépit du "Fa quanto vuoi", descente vertigineuse parfaitement maîtrisée sur les accents vifs des cordes. Performance renouvelée à la fin du premier acte avec le "Se giunge un dispetto", avec toutefois un peu de dureté dans les aigus. Au second acte soulignons la ligne mélodique très harmonieuse de la rêverie "Bella pur nel mio diletto", et les superbes ornements du "Ingannata una sola volta". Mais le clou de sa performance se situe incontestablement dans les scènes de chassé-croisé du troisième acte : Poppée, espiègle à souhait face à ses trois prétendants, finit par dévoiler ses dessous de cuir noir sur le lit de sa chambre devant Othon aux sens exacerbés, après avoir écarté ses deux rivaux ! S'ensuit un "Bel piacer" triomphal. Son bien-aimé Othon (Tim Mead) constitue l'autre révélation de cette production. Le contre-ténor britannique au timbre délicatement ouaté, assez caractéristique de la tradition musicale d'outre-Manche, incarne avec force l'amant tourmenté par la jalousie envers une maîtresse trop courtisée et l'ingratitude d'un empereur qui lui doit la vie. Affirmant la stabilité de son timbre dès le "Lusinghiera mia speranza ", doté d'une bonne expressivité théâtrale, Mead nous émeut dans sa détresse à l'acte II ("Voi que udite"), et prolonge avec bonheur le prélude enchanteur de l'orchestre du magnifique arioso "Vaghe fonti". Signalons encore la plainte soumise du "Tacero, tacero" avant de se cacher dans la chambre de sa bien-aimée au troisième acte. L'empereur indécis qui ne parvient à ses fins ni en amour ni en politique est incarné par Alastair Milnes. Sa voix de basse aux belles profondeurs et à la projection généreuse lui donne une grande présence. Certains regretteront un vibrato parfois un peu large -qui reste toutefois dans les limites du musicalement et stylistiquement acceptable- mais qui évoque de manière fort plausible un empereur bègue, comme l'était Claude. Retenons surtout ses qualités d'acteur : irrésistible lorsqu'il arrive comme un collégien avec son bouquet à la main dans la chambre de Poppée au premier acte ("Pur ritorno a rimirarvi"), d'une dignité empesée dans ses avances ("Vieni oh cara"), empereur vaniteux munis de tous ses insignes (y compris la fameuse couronne de lauriers...) au second acte ("Cade il mondo sogiogato"), se comparant à Jupiter alors qu'il se fait éconduire par la seconde fois ("Io di Roma il Giove sono"), il révèle sa sagesse profonde dans le bon sens désarmant de son jugement final . Outre ces rôles principaux, décernons une mention spéciale aux "frères ennemis" Pallas/ Narcisse, tous deux affublés de tenues de mafiosi (chaussures noires et blanches, chemises voyantes et cravates criardes, pochettes en bataille...). Mais tandis que Riccardo Novarro (Pallas) affiche une voix basse aux couleurs noires, parfois rugueuses, Pascal Bertin joue avec sa voix légèrement acide de contre-ténor : contraste assuré ! Malgré ses rares apparitions, n'oublions pas non plus Lesbus (Jean-Gabriel Saint-Martin), au timbre profond de basse. Signalons enfin la prestation très surprenante et très convaincante de Cyril Casmèze, acrobate qui incarne à quatre pattes la bête féroce qu'Agrippine abrite en elle (ou référence directe aux molosses de la cour impériale romaine ?), trouvaille fort réussie de la mise en scène de Jean-Yves Ruf. Les costumes et les décors hésitent avec bonheur entre réminiscences historiques appuyées (les lauriers impériaux, les coiffures extravagantes d'Agrippine) et un classicisme intemporel de bon aloi (l'habit militaire de gala de Claude), afin de laisser au spectateur le libre choix de ses références. Et nous ne reviendrons pas davantage sur la direction d'Emmanuelle Haïm à la tête du Concert d'Astrée, qui veille à chaque instant à tirer de ce plateau relevé le meilleur des performances musicales, pour le plus grand plaisir de nos yeux et de nos oreilles.
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