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Mai à Versailles

Mai. Que voilà un excellent mois, rempli de fêtes et d’ouvrages d’art (nous parlons par exemple des ponts). Mai, c’est la fête du travail, la Pentecôte, la capitulation inconditionnelle de l’Allemagne nazie, la journée de l’Europe… Et si le 6 mai était férié ? En quel honneur, me rétorquerez-vous. Se doit-on de fêter la naissance du timbre poste en 1840 de l’autre côté de la Manche ou encore l’assassinat de Paul Doumer ?

© Muse Baroque, 2008.

Mai. Que voilà un excellent mois, rempli de fêtes et d’ouvrages d’art (nous parlons par exemple des ponts). Mai, c’est la fête du travail, la Pentecôte, la capitulation inconditionnelle de l’Allemagne nazie, la journée de l’Europe… Et si le 6 mai était férié ? En quel honneur, me rétorquerez-vous. Se doit-on de fêter la naissance du timbre poste en 1840 de l’autre côté de la Manche ou encore l’assassinat de Paul Doumer ?

Non, bien entendu. Mais en compulsant nos grimoires baroques, annuaires de rêves et catalogues d’illusions fanées, nous avons retrouvé le 6 mai 1682, date à laquelle le centre de la France et de l’Europe s’est éloigné de Paris, translaté de 18 lieues en pleine campagne, au milieu d’un palais de contes de fée, né sur des marais insalubres et vallonnés. La capitale administrative du royaume pose ses bagages autour de trois avenues en pattes d’oie, convergeant vers un ancien relai de chasse que Louis XIII fit construire sur la terre rachetée aux Gondi. Depuis le 20 avril, le Roi et la Cour étaient chez Monsieur à Saint-Cloud. Le 6 mai, l’énorme cortège se dirige vers le nouveau lieu quasi sédentaire du pouvoir, et ce pour près d’un siècle.

Oubliés, les inconforts du Louvre tant prisé par Colbert, que le jeune Roi avait dû quitter nuitamment et honteusement pendant la Fronde (cf. Vingt ans après de Dumas). Fini, cet amalgame disparate cerné d’habitations, sans symétrie ni unité de style (Versailles ne sera pas non plus un exemple d’homogénéité architecturale mais qu’importe), et où les fantômes de la forteresse médiévale de Philippe-Auguste ne se sont pas encore évanouis. Hors de vue, ce jardin des Tuileries, qui, même redessiné, demeure étroit pour un Roi qu’on ne cesse de louer comme grand. Versailles, ce sera la glaise vierge offerte par un chasseur et une Régente à leur fils en mal de création. Et l’insatiable boulimie architecturale du monarque transformera le château en chantier permanent, où la soie et les brocards se mêleront aux cris des maçons, aux plâtriers, aux soldats réquisitionnés pour recomposer la nature des jardins et dévier les cours d’eau.

Versailles n’a jamais vécu qu’en musique. Qu’il s’agisse des comédies-ballets de jeunesse offertes en gage d’amour, des martiales fanfares de la Grande Ecurie à la Saint-Louis, des simphonies lors des Soupers du Roi, des danses de soirées d’appartement, des grands et petits motets le matin dans la chapelle, des concerts du dimanche de Couperin, des filles et fils de France apprenant le clavecin, de Marie-Antoinette  s’échappant de l’étiquette avec sa harpe… Omniprésente, si envahissante et quotidienne qu’elle en devient aussi naturelle que des buis taillés géométriquement, la musique aura irriguée Versailles et la cour avec bien plus de force que les eaux de la machine de Marly.  Et c’est presque à regret que le Vieux Roi, forcé de choisir entre la Chapelle ou l’Opéra, se résoudra à ordonner la construction du grand vaisseau de pierre, où il fera jouer un motet dès l’achèvement du gros-œuvre. Qu’importe. Les bosquets des jardins, l’espace de l’Escalier des Ambassadeurs, la Cour de Marbre, le manège de la Grande Ecurie accueilleront les notes inégales, en attendant l’ovale de bois de Gabriel.

                                                                                                                                                         Viet-Linh NGUYEN

Dernière modification: 1 mai 2008
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