L’ascenseur s’arrête. Cling ! La porte s’ouvre. Un couloir, une porte. Une petite carte blanche avec un nom dessus. Le battant s’entrouvre, il est là, souriant. Vêtu de sa traditionnelle chemise noire. Je lui serre la main avec effusion. Nous échangeons quelques mots sur l’excellent concert (Don Giovanni de Mozart dans la version de Vienne). Il a une pointe d’accent chantant. Le maître accepte de me signer un autographe et, avant de nous quitter, précise que son anniversaire est le lendemain, c’est-à-dire le lundi 30 octobre.
Je quitte les lieux dans un état d’euphorie totale, chantonnant l’air du catalogue, le précieux morceau de papier soigneusement glissé dans la poche. Les grilles sont déjà fermées, un percussionniste allemand, méconnaissable une fois débarrassé de sa veste queue-de-pie est aussi perdu que moi. Nous retrouvons tant bien que mal le chemin de la sortie, de la rue, du bruit. Il fait sombre et un peu frais. Au loin, l’Arc de Triomphe vu de biais ressemble à une construction antique déformée par les dieux. La bouche de métro la plus proche est un navire avec ses lanternes de signalisation rouges. L’Allemand s’y engouffre, avec son lourd barda.
Retrouvant mes esprits, je tente de me remémorer les paroles historiques de René Jacobs : « Oui, Don Giovanni, c’est un jeune, il ne sait pas encore ce qu’il fait. A la fin de l’œuvre, il sait qu’il va mourir mais il joue avec la mort ». Je me dis que j’aurais aimé lui parler plus longtemps, revenir sur ses anciens enregistrements de Monteverdi et ses Leçons de Ténèbres de Couperin avec Christie, puis ses débuts comme chef d’orchestre. Evoquer le timbre particulier de sa voix, lui demander quels sont ses souvenirs les plus marquants. Non, le chef est reparti avec son talent et ses mystères. 60 ans déjà ! Souhaitons donc à René Jacobs un très joyeux anniversaire, et encore de nombreuses découvertes musicales.
Viet-Linh NGUYEN
Dernière modification: 6 février 2014