Jean-Claude Malgoire, 50 ans de musiques et d’aventure
Virginie KASRIEL-SCHAEFER
Symétrie, 2005, 288 pages.
On remarque en premier lieu la facture soignée de l’ouvrage, sa couverture en demi-reliure toile rouge, son format in-4 sur papier épais couleur crème. Et l’on remarque également cette photo amusante, presque un cliché de vacances, où Jean-Claude Malgoire sourit, à la fois heureux et complice de cette belle aventure éditoriale. Ceux qui attendaient de ce « livre-anniversaire » une sorte de pompeux panégyrique racinien, bourré de notes critiques de bas de pages, d’exemples musicaux, de dissertations doctes sur le hautbois baroque seront déçus. Les autres, dont nous faisons partie, seront aux anges de retrouver dans ce livre le caractère même de l’artiste : un mélange de spontanéité généreuse, d’amour de la vie et de la musique, le tout agrémenté de ce côté un peu brouillon et débonnaire qui transparaît même dans sa direction d’orchestre.
Cette qualité de l’ouvrage constitue en même temps son principal défaut : moins biographe que confidente, Virginie Kasriel-Shaeffer se contente de laisser libre court à son admiration sans borne pour Jean-Claude Malgoire, juxtaposant les anecdotes, passant sans cesse du coq-à-l’âne. Les 14 « Bagatelles » intercalées dans le texte fournissent autant d’occasion de laisser la plume directement à Jean-Claude Malgoire, et d’avoir la délicieuse impression de voler quelques pages de son Journal. Mais le pauvre lecteur, submergé par cet amas foisonnant, chancelle, cherche vainement à redonner de l’intelligibilité à ces 50 ans de carrière, saute de paragraphe en paragraphe, revient sur ses pas, se perd dans ce labyrinthe kafkaïen. Lire ce livre, c’est un peu comme activer l’option « lecture aléatoire » d’une platine CD pendant un opéra de Lully, ou chercher un da capo dans Parsifal… L’auteure l’avoue elle-même, avec une désarmante candeur : cet essai représente « non tant une biographie qu’une chronique d’aventures musicales ». Fallait-il pourtant vraiment que le texte délaisse à ce point toute velléité d’organisation et de structure ?
Qu’importe. Car il s’agit, à notre connaissance, du premier livre entièrement consacré à ce chef et hautboïste d’exception, pionnier français de la révolution baroque. Deux ans avant que les étudiants du Quartier-Latin ne jettent leurs pavés sur les casques d’ébène des forces de l’ordre, Malgoire fondait déjà… La Grande Ecurie & le Chambre du Roy. Et c’est cette expédition en terra alors incognita que l’on découvre bribes par bribes, historiettes par historiettes, croisant sur le chemin Dominique Visse, René Jacobs, Gérard Lesne, sa fille Florence à qui il insuffla la flamme du violon baroque, et tant d’autres grands noms tels le collègue Marc Minkowski ou le jeune Jaroussky. Au détour d’une page, on surprend l’Alcestede Lully, l’une de ses œuvres-fétiches, les premiers enregistrements d’opera seria de Haendel alors d’une verdeur revigorante : Rinaldo, Sersedéfilent, puis cèdent la page à Rameau ou à Monteverdi. Il faut également noter que Malgoire n’est pas le baroqueux baroque à quoi on le réduit trop souvent, en raison du nom éminemment versaillais et évocateur de son ensemble. Ces 50 ans sont un hymne à la curiosité musicale, à la variété des répertoires que Malgoire aborde, depuis le Moyen-Age jusqu’au jazz, entrecoupé par de fréquantes illustrations : photos en noir et blanc artistique, capturant ici un sourire, là un geste ample ; dessins humoristiques et affectueux de Anne-Marie Sonnenveld.
Enfin, comme pour compenser la vision très « conversation au débotté » de l’ouvrage, le dernier tiers est entièrement consacré à de copieuses annexes, incluant notamment une monumentale discographie sur une trentaine de pages, et l’historique de l’Atelier lyrique et des semaines chorales de Tourcoing de l’an 1066 à nos jours (chercher l’erreur).
En définitive, voici un ouvrage infiniment agréable à lire, manifestement destiné à un public large, et dont l’irritant charme provient de son parti-pris décousu. Et le mystère Malgoire demeure entier après avoir feuilleter ces quelques 200 pages d’aimable badinage, effleurant les riches années d’une carrière prolifique, caressant du bout des ongles d’innombrables sujets que la plume supersonique de Virginie Kasriel-Shaeffer survole avec malice, mais sans jamais s’attarder. Et la couverture refermée, le lecteur laisse échapper à la fois un soupir de contentement et de frustration.