« Fürchtet euch nicht »
Bassoons & Bombards
Music from the German Baroque
Syntagma Amici
Elsa Franck, Francis Mercet, Adrien Reboisson, Stéphane Tamby, Krzysztof Lewandowski & Jérémie Papasergio : bassons & bombardes
Josèphe Cottet : viole & viola da spalla
Danican Papasergio : violon & viole
Xavier Sichel : viole
Manon Papasergio : basse de violon & viole de gambe
Gabriel Rignol : théorbe
Yoann Moulin : orgue & clavecin.
avec la participation de :
Julie Roset : soprano
Paulin Bündgen : contreténor
Vox Luminis, direction Lionel Meunier
Ricercar, enr. 2019-2020, 67’28.
Tout mélomane amateur qui se respecte connaît la collection « instruments » de Ricercar, notamment son monumental Guide des Instruments anciens de plus de 10h d’écoute passant en revue l’instrumentarium des trouvères à Rossini ou encore un disque dédié au cromorne aux Pays-Bas, Allemagne et Italie. Voici dans ce prolongement un disque dédié aux bassons et bombardes en Allemagne au XVIIème siècle. Le sujet semble aride ; la réalisation jubilatoire et superlative emporte l’adhésion et, avec un marketing plus approprié et tellement moins élégant, on aurait pu faire de cette parution un « tube » chez nos disquaires.
La place – et l’érudition scientifique – nous manquent pour retracer précisément l’histoire des instruments à anches doubles depuis le XVIème siècle. Qu’il suffise de dire que la séquence téléologique et progressiste selon laquelle la chalemie se mue en hautbois, et les bombardes et douçaines/doulcines en bassons est plus complexe, et que Jérôme Lejeune, iconographie à l’appui (la très belle pochette du disque aux angelots avec bombardes à gauche et basson à droite provenant de l’église Saint-Martin de Stadthagen), défend la coexistence de l’ancien et du moderne, à l’instar de la viole et du violoncelle (il est vrai issus cette fois de familles différentes). On regrettera simplement que les contraintes éditoriales aient empêché le livret de développer davantage l’instrumentarium utilisé, et les caractéristiques et facture de chaque instrument, en particulier l’ immense bombarde basse. Les bassons et bombardes existant sur une famille d’instrument complète, cela a permis d’assembler des instruments sur l’intégralité des tessitures d’alto, ténor, basse (et même hyper basse).
Musicalement, le voyage est enchanteur : fluidité de la ligne, couleurs chatoyantes, explosion de timbres entre grain boisé, cancanages, rusticité spontanée, éloquence chaleureuse, les bassons et bombardes justifient leur aura. Ampleur du son, générosité du propos : le geste est affirmé mais souple, la rondeur permanente avec un son en cloche très texturé. L’équipe complice de Syntagma Amici, à la cohésion familiale au sens propre comme figuré, déroule son discours avec naturel, et se joue gracieusement des ornements et diminutions.
Derrière ce « Fürchtet euch nicht » grave et confiant se cache un spectacle d’une vitalité gourmande, hédoniste et malicieuse. Il faut dire que la sélection a été particulièrement bien conçue, de par sa variété stylistique et instrumentale qui a parfois nécessité des transpositions conformes aux pratiques du temps, et l’on se réjouit des combinaisons très diverses d’instruments (bassons et bombardes parfois ensemble) et même l’adjonction de quelques pièces vocales avec le concours poctuel de Vox Luminis pour le motet conclusif de Johann Rudolph Ahle. Parmi nos favoris, on relèvera les redoutables variations de la Sonata sopra la Monica de Böddecker sur le tube de la Monica (nom italien de l’air fameux de la Renaissance d’ « Une jeune fillette »). Jérémie Papasergio en livre une interprétation très atmosphérique au basson, un basson profond à la voix humaine, où la virtuosité n’occulte pas la lancinante mélancolie de la mélodie initiale, tandis que Danican Papasergio glisse son violon sensible et aérien dans les entrelacs.
A l’inverse, la Canzon no 30 de Vierdanck et la Sonata I anonyme sont l’occasion de fastueux déploiements : dans la première un trio de flûtes, bombarde et basson basses et orchestre de cordes tissent un décor opulent et moiré, grandiosement curial et dansant, très évocateur et réminiscent de certains enregistrements de David Munrow, ou de Savall jeune. Les deux Symphonia Sacrae de Schütz, transportent l’auditeur dans un tout autre climat, concentré et recueilli, déclamatoire et scandé, avec une belle alchimie entre l’angélique soprano de Julie Roset aux aigus clair et à la diction parfaite, et l’évanescent Paulin Bündgen.
Pour survoler quelques autres perles de cet enregistrement, l’on s’arrêtera sur la Sonata 2 de Daniel Speer où les deux voix ont été confiées à une rare viola da spalla de Josèphe Cottet (la sorte de petit violoncelle se jouant sur l’épaule si cher à Sigiswald Kuijken) dialoguant avec le basson de Jérémie Papasergio : l’échange est savoureux, même si en termes d’écriture la sonate pour basson solo de Theile dénote une sûreté de ton, une noblesse souriante et reposée autrement plus inspirée.
Enfin, l’on se régalera simplement de la Sonata VIII de Buchner, prétexte à une débauche de bombarde entre celle soprano d’Elsa Franck à la sonorité proche d’un hautbois pincé virant parfois sur le cornet, et la basse de Jérémie Papasergio (encore et toujours 🙂 imposante et poétique, et dont la solidité, les inflexions, les couleurs, tapissent la moindre partition d’un voile musical dense et riche.
Vous l’aurez compris, nous sommes convaincus, si convaincus que l’enthousiasme nous gagne et que nous plaidons désormais quand cela est possible pour systématiquement doubler/remplacer toutes les parties de cordes par de la bombarde ou du basson pour apporter corps et saveur à l’orchestre. Et au diable les musicologues.
Viet-Linh Nguyen
Technique : excellente prise de son, ample et très légèrement réverbérée, avec des timbres superbes. Hélas la viole de gambe ou le théorbe sont peu audibles, mais cela est normal face aux tonitruants bassons ou bombardes…
Étiquettes : Bündgen Paulin, Muse : or, Outhere, Papasergio Jérémie, Ricercar, Syntagma Amici Dernière modification: 25 mars 2024