Rédigé par 14 h 07 min Concerts, Critiques

Tes yeux sont ceux d’une colombe (Seicento italien, Devillers, Les Surprises – Salle Cortot, 15 février 2023)

“Quam pulchra es, amica mea,
suavis et decora,
oculi tui columbarum,
absque eo quod intrinsecus latet.”
(Cantique des Cantiques 04:01)

Perrine Devillers & Les Surprises © Muse Baroque, 2023

Seicento italien
Sigismondo D’India : “Sovente all ‘hor”
Giovanni Picchi : Toccata e Ballo alla Polacha
Giulio Caccini : “O che felice”, “Amarilli, mia bella”
Peter Philips : Variations sur “Amarilli, mia bella”
Alessandro grandi : O quam tu pulchra es”
Tarquino Merula : Intonatio settimo tuono
Giovanni Rovetta : “Mariam quam tu pulchra es”
Girolamo Frescobaldi : Canzona a due bassi
Giovanni Carpani : “O dulcissime Jesu”
Tarquino Merula : Sonata 3.28 (Libro Quarto, 1651)
Benedetto Ferrari : “Queste pungenti spine”

Perrine Devillers, soprano
Ensemble les Surprises :
Juliette Guignard, viole de gambe

Julien Hainsworth, violoncelle
Thibaut Roussel, théorbe
Clavecin/orgue et direction Louis-Noël Bestion de Camboulas

Mercredi 15 février 2023, Salle Cortot, Paris.

Hélas, Marie Perbost était souffrante, mais les Surprises téméraires n’annulèrent pas le concert. Notre gratitude va à Perrine Devillers qui accepta, le matin même, de reprendre ce flambeau italien. Alors certes, le programme est chamboulé (exeunt Monteverdi), mais ce remaniement ministériel conserve la cohérence programmatique initiale. En prenant en compte l’exigence de ce répertoire si délicat et raffiné, l’urgence dans les répétitions, on avoue rester admiratifs devant certains moments de grâce de cette soirée. D’autres furent moins aboutis, qu’on nous permette vu les circonstances de les passer sous silence par pudeur, par élégance, par reconnaissance, et per la musica.

Tout de même, avant de commencer notre recension, partageons deux regrets : d’abord celui de ne pas fournir les textes chantés. Sur les notes de programme distribuées en salle, une grande feuille A3, il y avait largement l’espace pour réduire la police et insérer a minima les textes italiens. Quand on sait l’importance des affects dans cette musique, on se retrouve comme des béotiens face à une tenue maçonnique… Heureusement l’art de la soprano et sa musicalité font oublier le désagrément de ne pas suivre les joies et déplorations, mais cela est bien dommage. Deuxième soupir : qui diable a convié le violoncelle très anachronique de Julien Hainsworth ? Malgré son talent, le doux timbre de l’instrument ne se marie guère aux sonorités grainées de la viole ductile de Juliette Guignard, créé un halo de réverbération brouillant le contrepoint, mine les passages instrumentaux. Avec le clavecin/orgue positif dirigé par Louis-Noël Bestion de Camboulas, le beau théorbe vif et poétique de Thibaut Roussel, point n’était besoin de l’immixtion de cet importun. Et s’il n’était pas possible d’associer une harpe, un lirone ou un cornet qui auraient apportés textures et couleurs à cette Italie lumineuse, ce compagnon de route s’est révélé superflu et invasif.

Après quelques pièces où la soprane s’est révélé appliquée mais timide, mais où l’on louera la fulgurance droite dans les changements de registres du “O che felice” de Caccini, Perrine Devillers s’épanouit dans le superbe “O quam tu pulchra es” de Grandi, aux aigus fragiles, théâtraux et éloquent, à la sensualité fière. La direction depuis le clavecin ou le positif de Louis-Noël Bestion de Camboulas ; l’accompagnement complice des Surprises, d’une fluidité optimiste créent rapidement un climat intimiste et chaleureux que le choix de cette salle à taille humaine renforce. De même le “Mariam quam tu pulchra es” de Rovetta, compositeur moins inspiré, permet également aux artistes de déployer une palette pastel d’une grande subtilité. On distingue aussi le “O dulcissime Jesu” de Carpani, très abondamment orné, d’une virtuosité extravertie avec d’incroyables mélismes. Enfin pour conclure le concert, les Surprises nous offrent un “tube” de l’époque dû à la plume de Benedetto Ferrari (compositeur auquel on attribue désormais le “Pur ti miro final” du Couronnement de Poppée) : le “Queste pungenti spine” sur basse obstinée, œuvre fétiche de Philippe Jaroussky qui l’a enregistrée deux fois notamment la version plus mûre et agile dans Via Crucis (Virgin). Perrine Devillers s’y montre hypnotique et touchante, spontanée et dramatique, changeant constamment de ton et de nuances, capable d’une projection lunaire comme de chuchotements brisés, soulignant les ruptures chromatiques. Une beau point en suspension pour ce concert au débotté, poétique et engagé. 

 

Viet-Linh Nguyen

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 10 mars 2023
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