Rédigé par 15 h 02 min CDs & DVDs, Critiques

Tarantelles, Gagaku, Kabuki, istanpite et berceuses…

Prévenus par la rédaction en chef au début du mois qu’en choisissant de s’intéresser à Mediterranea, nous ne serions pas confrontés à une musique qui nous était familière, nous avons témérairement fait fi des avertissements. Et en effet, dès les premières notes de ce nouvel enregistrement d’Alla Francesca, nos oreilles intriguées ont été très surprises.

Mediterranea

 

mediterranea_alla_francescaAlla Francesca : Brigitte Lesne (chant, harpe médiévale, harpe gothique, percussions), Pierre Hamon (flûtes à bec, traversière bansuri, double flûte, flûte et tambour, cornemuse), Carlo Rizzo (tammorra, tamburello, tambourins, chant)

60′, Zig-Zag Territoires, 2009.

 

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Prévenus par la rédaction en chef au début du mois qu’en choisissant de s’intéresser à Mediterranea, nous ne serions pas confrontés à une musique qui nous était familière, nous avons témérairement fait fi des avertissements. Et en effet, dès les premières notes de ce nouvel enregistrement d’Alla Francesca, nos oreilles intriguées ont été très surprises. Difficile à vraiment cerner cette musique des treizième au quinzième siècles du bassin méditerranéen (notamment de l’Italie), qui oscille entre l’Occident, l’Extrême-Orient (souvent on pense aux chants du Kabuki, accompagnés de shamisen ou de koto — sans parler  des images qu’évoquent immédiatement la sonorité de la flûte en bambou indienne, le bansuri, qu’utilise Pierre Hamon dans certaines pièces), ou l’Orient plus proche de nous, le dernier tiers du disque étant consacré à différents chants traditionnels séfarades. Pour être tout à fait honnêtes, il n’a pas été des plus aisés d’afficher véritablement un œil de critique connaisseur sur une musique si étrange. Aussi, et pour éviter d’asséner des monstruosités (qui non seulement nous décrédibiliseraient complètement, voire annihileraient le long travail effectué depuis les débuts de cette  sublim revue), nous tâcherons plus de décrire ce qui nous a marqué à l’écoute, en essayant de transmettre la joie, le plaisir et l’excitation que nous avons éprouvés, plutôt que d’en imposer un jugement.

Ce que l’on retient avant tout de ce voyage, c’est une sensation de calme et de douceur. Chaque pièce se révèle très épurée, très simple, très aérienne, interprétée avec une délicatesse extrême, que ce soit dans le souffle suave des flûtes de Pierre Hamon, que dans le toucher précis et léger de Carlo Rizzo sur ses percussions traditionnelles (qui se livre par ailleurs, dans Oh re re lu passierelle n’dalla vena, tarantelle des Pouilles, à un époustouflant solo de tamburello effréné, digne des plus grandes improvisations à la batterie seule dans la musique jazz, qui nous tient en haleine et nous laisse pantois), qu’enfin dans les harpes de Brigitte Lesne.

Les voix également nous décontenancent, posées différemment de ce qu’on peut avoir l’habitude d’entendre en grillant ses synapses de liqueur baroque. Celle de Brigitte Lesne autant que Carlo Rizzo sont toujours ouvertes, dégagées, claires, s’autorisant parfois un certain engorgement, un tiraillement vers les aigus, qui loin de déranger (alors que votre serviteur se serait fait une joie allègre d’assassiner quiconque se serait permis un tel écart dans du Lully ou du Hume), portent la ligne, la mélodie, rendent encore plus incarnés ces chants déchirants (comme le sombre Camini por altra torres, chant d’errance séfarade, où la voix de femme, qui pleure sans “sentimentalisation”, sorte de plainte ultime, est accompagnée par un tambour très lourd, qui se répète inlassablement, retranscrivant ainsi pitoyablement la longue et pénible errance sans fin décrite dans le chant), comme les plus joyeux et égrillards (Bella figliola ca te chiamme Rosa par exemple, d’une truculente drôlerie tant instrumentale que vocale). Et même si l’auditeur pressé ne saisit pas forcément tous les textes (nous l’invitons par ailleurs à jeter un œil curieux vers les traductions du livret), le sens de ceux-ci lui parvient malgré tout, avec une touchante immédiateté.

Alors ce Mediterranea est-il un exemple de musique archaïque et vide ? Au contraire, sa suavité dans l’épuration, dans sa simplicité, la tenue des lignes musicales, nous la font parvenir plus moderne encore…

Charles di Meglio

Technique : prise de son impeccable, mettant au même niveau chacun des trois interprètes, avec un parfait équilibre.

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 5 mars 2021
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