Rédigé par 17 h 49 min CDs & DVDs, Critiques

Savoir prendre de la Otter

Nous avouons compter parmi les inconditionnels d’Anne Sofie von Otter. Tout était ici réuni pour notre plaisir, la sublime musique du Kantor, la voix de caméléon d’Anne Sofie, la légèreté aérienne et piquante du Concerto Copenhagen… Et malgré l’indéniable qualité du résultat, voilà un enregistrement qu’on ne parvient pas à adopter, qu’on ne s’approprie pas vraiment, et qu’on hésite à qualifier de demi-succès.

Jean-Sébastien Bach (1685-1750)

“Bach : Arias”

Alto and Soprano Arias from Cantatas and Oratorios

 

Anne Sofie von Otter, mezzo-soprano
avec Karin Roman, soprano
Anders J. Dahlin, ténor
Jakob Jespersen, bariton

Concerto Copenhagen
Direction Lars Ulrik Mortensen

57’04, Archiv, 2009.

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Nous avouons compter parmi les inconditionnels d’Anne Sofie von Otter. Tout était ici réuni pour notre plaisir, la sublime musique du Kantor, la voix de caméléon d’Anne Sofie, la légèreté aérienne et piquante du Concerto Copenhagen… Et malgré l’indéniable qualité du résultat, voilà un enregistrement qu’on ne parvient pas à adopter, qu’on ne s’approprie pas vraiment, et qu’on hésite à qualifier de demi-succès. Pourquoi un tel ressenti ? La première réponse – et sans doute la plus recevable – est celle de la structure même du récital qui voyage ça et là entre les méandres des cantates sacrées, de la Saint Matthieu ou du Magnificat. Ce démembrement sinueux, qui nous gêne déjà parfois dans les récitals d’airs d’opéra, en devient ici encore plus troublant, comme si l’écartèlement précieux de pièces sacrées virait au blasphème, ôtait aux pièces leurs profondeur spirituelle, leur puissance évocatrice, les reléguant au niveau d’airs de concert ou de salon. Nous aurions préféré un choix de cantates – à la rigueur des airs de cantates profanes – ou un papillonnage autour du Petit Livre d’Anna Magdalena Bach.

Anne Sofie von Otter confesse dans le livret l’influence décisive des interprétations pionnières de Nikolaus Harnoncourt sur sa plongée dans la musique sacrée de Bach. A l’écoute de la phalange que les mélomanes nomment plus familièrement le “Coco”, nous pouvons émettre l’hypothèse que cela n’est vraisemblablement le cas de Lars Ulrik Mortensen, ou bien que ce dernier n’a pas repris les réflexes interprétatifs du jeune Harnoncourt. On découvre ainsi un orchestre un brin acide, privilégiant les aigus et la vitesse, peu soucieux des respirations. La Sinfonia de la BW35 avec son solo d’orgue virevolte avec une virtuosité superficielle, le tissu instrumental, léger comme une gaze, dépourvu de véritable basse continue structurante. La Sinfonia plus rêveuse de la BXW12 laisse admirer le beau phrasé du hautbois de Patrick Beaugiraud, dominant un Coco étonnamment effacé. Heureusement, l’orchestre se révèle nettement plus satisfaisant lorsqu’il accompagne la mezzo, avec des cordes incisives bien qu’inégales. 

C’est en effet à Anne Sofie von Otter que l’on doit quelques instants tout bonnement magiques, alternant avec d’autres airs moins sensibles. Parmi ces vignettes d’éternité où son timbre profond, naturel et éminemment humain titille l’impossible, on se laisse porter par l’ “Erbarme dich, mein Gott” de la Passion selon Saint-Matthieu brûlant d’une ferveur à l’intensité douloureuse avant de flotter à la dérive sur un “Agnus Dei” de la Messe en Si insaisissable, conciliant grâce mélodique et balancement opprimé. La mezzo s’y épanche avec ampleur et recueillement, élargissant le phrasé, confessant certaines mesures dans un murmure, faisant preuve d’un superbe contrôle du souffle. Le “Et Misericordia” du Magnificat procède de la même veine, avec la complicité très discrète d’Anders J. Dahlin. Du côté des airs plus enlevés, seul le “Erbarme dich, mein Gott” de ma BWV99, sautillant et rieur à souhait, tire réellement son épingle du jeu.

Car d’autres airs sont malheureusement moins inspirés, en commençant par celui qui ouvre le disque. Von Otter portée par les saccades de la ritournelle de “Widerstehe doch der Sünde” fragmente trop le discours, poitrine les graves, oublie l’égalité soyeuse de son timbre. Même défaut dans un “Nichts kann mich erreten” aux attaques jetées et à l’orchestre grouillant et brouillon. Enfin, on citera la belle berceuse du “Schläfert allen Sorgenkummer”, envahie par un hautbois obligé trop présent qui au lieu de dialoguer avec la chanteuse se complaît dans un reflet narcissique et intrusif.

Voilà donc un enregistrement que tous les amateurs d’ “Anso” se procureront sans faute pour quelques passages totalement investis, mais qui aurait pu gagner en cohérence et en profondeur.

Alexandre Barrère

Technique : enregistrement clair avec les instruments obligés et la chanteuse très en avant.

Vidéo promotionnelle Archiv / Deutsche Grammophon

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 11 juillet 2014
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