Rédigé par 23 h 48 min Actualités, Editos

“Afin qu’elle tienne le feu toute la nuit”

© Muse Baroque, 2020

Voici venu le temps du beau Noël. Un Noël ténébreux et raide aux allures de Grand Hyver, fait de frimas et de craintes, de la peur du manque et des épidémies, de la morne banalité de la valse des prix, du retour de l’incognito des masques. Hérauts d’une sobriété toute cromwellienne, bourreaux vertueux stigmatisant les temps heureux d’une soi-disant abondance pléthorique à la coupable légèreté, le temps n’est plus à rire. Atys était trop heureux et voici son sort déplorable.

Eh bien, que la Parque coupe les fils de cuivre, il nous restera toujours les reflets dansants des bougies, l’éclat de l’argenterie, la pénombre des tâtonnements, la pétillance des retrouvailles et la douceur des fêtes. Le docte Dictionnaire de l’Académie – le premier, celui de 1694, paru 4 ans après celui de Furetière (NdlR : élu en 162 au fauteuil 31, le célèbre romancier et fabuliste fut exclu en janvier 1685, du fait de la “querelle des dictionnaires”) – nous laisse ainsi quelques tendres broderies à ourler autour de la Nativité :

“NOEL. s. m. Feste de la Nativité de Nostre Seigneur. A la Feste de Noel. les Festes de Noel. A Noel. Noel est une des quatre bonnes Festes de l’année. le terme de Noel. On appelle communement La busche de Noel, Une grosse busche qu’on met au feu le jour de Noel, afin qu’elle tienne le feu pendant toute la nuit.
Noel, se dit aussi d’Un cantique spirituel fait à l’honneur de la Nativité de N.S. où ce mot de Noel est souvent employé. Un beau Noel. un Noel sur un tel chant. chanter des Noels. chanter Noel. la bible des Noels vieux & nouveaux.

On dit prov. & fig. d’Une chose qui arrive aprés qu’on la fort desirée, & qu’on en a souvent parlé, qu’On a tant chanté, qu’on a tant crié Noel qu’à la fin il est venu.”

D’abord, les mélomanes entraperçoivent immédiatement entre ces concises lignes des nuées de cantiques de Noël, les Noëls instrumentaux de Charpentier, les notes rutilantes composées par le Cantor à Leipzig la pourtant réformée, les concerti graves da chiesa à l’équilibre serein. Puis arrive cette bûche métaphorique : une bûche qui brûle. Une bûche qui dure. Une bûche qui rassemble. Elle nous cause dans l’éloquence de son crépitement, compagne à la fois frémissante et changeante, nécessitant attentions et soins, captivante d’incandescence. Enfin, Noël, c’est la chose tant désirée qu’à la fin elle advient, celle pour laquelle on s’époumone à crier Noël comme devant les portes ouvertes de la Cathédrale de Reims un jour de Sacre. Et pour tous nos lecteurs, cette bûche, c’est sans nul doute la Musique et ses trésors, ci-de vieux pots brandebourgeois dans lesquels on ressert sa soupe aux quatre saisons sans se lasser, là-des novelletés à ramasser dans d’improbables recoins, dont on rafistole une ou deux parties manquantes, qu’on polit au velours de Gênes et qui subitement dénudent leurs beautés dessous la gangue des siècles. Et sans qu’on s’en rende bien compte, voilà la bûche consommée, et cette compagnie nous rappelle que les lueurs de l’aube ne sont pas toujours celles de l’incendie.

JOYEUX NOËL à tous et toutes !

 

Viet-Linh Nguyen

Dernière modification: 2 janvier 2023
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